«
Janneke ? Pourquoi tu bosses comme serveuse dans ce fast-food pourri ? » m'interroge une voix familière. Surprise, je me retourne dans un sursaut. J'aperçois alors Liesje, une fille fréquentant mon école. Prise par la honte, mes joues se mettent à rougir. Personne n'est au courant que je travaille après les cours, alors que je n'ai même pas l'âge légal. «
J'aide simplement des amis avec leur restaurant. Ils avaient besoin de personnel et ne trouvaient personne. Je fais ça par charité. » je réponds instinctivement. Comment expliquer à tout le monde que mes parents sont extrêmement aisé mais qu'ils refusent de subvenir à mes besoins ? Ils me prendraient tous pour un cas social, et dans le lycée où je suis, c'est une réputation qu'il vaut mieux éviter. «
Je te laisse, je vais aller voir si ils ont besoin d'un coup de main en arrière-cuisine. » dis-je en souriant gentiment. Ma place n'avait rien à faire là-bas, en cuisine. Néanmoins, j'avais besoin d'être hors de son champ de vision, et de sauver les apparences. Si je me tue à la tâche et que je n'ai que cinq heures de sommeil par nuit, c'est pour atteindre un but précis. Me détacher de cette famille de fous et m'enfuir à l'autre bout du monde pour faire des études et réussir ma vie. Je refuse catégoriquement de périr dans ce milieu.
«
Je prendrais un simple hamburger avec des frites et un soda. Vous n'en avez pas marre de travailler dans cet endroit miteux ? Je veux dire, vous pourriez faire des choses bien mieux rémunérées. Je recherche quelqu'un pour m'accompagner moi et des amis au restaurant ce soir. Vous seriez intéressée ? Bien évidemment, vous serez payé. Généreusement. » me demande un homme âgé de la trentaine alors que j'étais en train de prendre sa commande. Les yeux écarquillés, je le dévisage comme pour essayer de comprendre ses intentions. L'idée d'un meilleur salaire me plait mais comment savoir que ce n'est pas un psychopathe ? «
Non merci, je préfère augmenter mes heures de boulot ici. » je réponds, un peu intriguée. Il esquisse un sourire amical et me tend une carte de visite. «
J'ignore quel âge vous avez, mais vous êtes ravissante. Les hommes de ma catégorie cherchent simplement à passer une soirée en compagnie de femmes séduisantes et aimables. Alors si vous changez d'avis, n'hésitez pas à m'appeler. » insiste-t-il doucement. Je saisis alors la carte et retourne au niveau du comptoir. Je contemple le petit rectangle cartonné en me posant mille et une questions. Instinctivement, je glisse la main dans mon tablier afin de prendre mon téléphone et je compose le numéro. Trois sonneries et l'homme rencontré un peu plus tôt décroche. «
Je suis d'accord pour ce soir. Envoyez moi l'adresse par message ainsi que l'heure et j'y serais. Que ce soit clair, ce n'est qu'un restaurant. Rien de plus. » je déclare avant de raccrocher. 16 ans et je viens d'accepter de jouer les escort girl.
«
Tu comptes sincèrement quitter le pays ? Laisser tous tes proches derrière toi sans même y réfléchir à deux fois ? » me demande Matthys un peu choqué. Matthys pourrait être à mes yeux, ce qui se rapproche le plus d'un frère. Dès que je ne suis pas en train de travailler, il vient automatiquement chez moi. Heureusement d'ailleurs, sinon j'aurais bien plus de mal à vivre dans cette maison bien trop souvent vide. Je le regarde droit dans les yeux et lui réponds: «
Oui je vais vraiment partir. J'en rêve depuis que je suis gamine. A mes dix-huit ans, je fais mes valises et je décolle pour Harvard. Dans six mois, j'aurais quitté ce pays et je n'y vivrais plus jamais. Je ne peux pas construire ma vie en fonction de mes proches, ce n'est même pas une question d'amour. » Tout à coup, il rompt le contact entre nos deux regards et tourne la tête. Je suis consciente que cette situation l'énerve et l'attriste mais je ne peux pas faire mes choix par rapport à ses envies. «
Et comment as-tu trouvé tout l'argent pour financer ton voyage et tes études ? Tu vas vivre avec quoi une fois là-bas ? » me questionne-t-il, inquiet. Je souris nostalgiquement. Quand j'y repense, j'ai l'impression d'avoir été privée de mon enfance et de mon adolescence. J'ai été forcée de rapidement trouver une solution pour m'échapper de ce milieu invivable. Tandis que mes amis sortaient le soir, moi je me tuais à la tâche à me faire insulter par les clients d'un restaurant minable et à accompagner des quadragénaires à des dîners en sachant pertinemment qu'ils rêvaient de me mettre dans leurs lits. Voilà à quoi ressemblait ma jeunesse jusqu'ici. «
Tu sais bien que je bosse au restau depuis le jour de mes quinze ans. Les heures supplémentaires paient bien. » je rétorque sur la défensive. Si quitter Matthys me faisait du mal, lui mentir me brisait le cœur.
«
Tu foutais quoi avec ce vieux porc ? N'essaies pas de nier, je t'ai vu monter dans sa voiture et en ressortir à l'instant. » crie Matthys. Dissimulé par la pénombre, je ne l'ai pas vu m'attendre près de la porte d'entrée alors que je rentrais juste du restaurant dans lequel je devais accompagner trois hommes. Quelle excuse vais-je bien pouvoir trouver ? Prise de panique, des larmes commencent à dégouliner le long de mes joues. Matthys ne me verra plus jamais de la même façon si je lui raconte la vérité. «
Laisse moi tranquille Matt. J'ai pas envie de me disputer avec toi et je préfère que tu ne saches rien. Vas-t-en. » je lâche sèchement. Sans attendre une réponse de sa part, j'ouvre la porte d'entrée et me faufile à l'intérieur. Bien évidemment, Matthys me suit, habitué des lieux. Je me hâte de monter les quelques marches menant à ma chambre pour m'y enfermer à clef avant qu'il n'ait le temps d'y entrer. Effrayée et honteuse, je me laisse glisser le long de la porte, plongeant mon visage trempé dans mes bras. «
Ouvre moi cette fichue porte Janneke ! Dis moi ce qu'il se passe, qu'est-ce que tu foutais avec lui ? Ouvre ! » hurle-t-il en tambourinant contre la porte. Plus il crie et cogne, plus je me renferme et refuse catégoriquement d'ouvrir. Je ne prends pas la peine de lui répondre, trop secouée par les sanglots. Alors qu'il se calme, je décide qu'il est préférable de tout lui avouer avec un obstacle entre nous. «
Je suis escort girl. J'accompagne des hommes plus âgés au restaurant lorsqu'ils sont de passage en ville. Le restaurant me paye une misère, je devais trouver une autre solution, tu ne peux pas comprendre. » je lâche, foudroyée par la honte. Toujours assise sur le sol, j’entrouvre la porte pour le laisser passer. Sans un mot, il entre et se poste devant moi, debout. Je n'ose même pas relever la tête pour le regarder. «
Alors tu couches avec ces mecs ? Tu es une sorte de prostituée c'est ça ? » me demande-t-il avec une once de dégoût dans la voix. «
Non, je n'ai jamais couché avec eux. Je suis juste là pour leur tenir compagnie, ils ne veulent juste pas être seuls. C'est tout ! » je réponds, perturbée. «
Tu sais quoi, au pire je m'en fous, fais ce que tu veux. Pars à Harvard mais ne me parles plus. Fais comme si je n'avais jamais existé ok ? » lâche-t-il avant de quitter la pièce. J'avais perdu la seule raison qui me faisait encore rester dans cette ville. Inutile de patienter plus longtemps. Un vol pour Cambridge décollait dès le lendemain matin.