octobre rose (golden trio)

Le rendez-vous avait été donné. Le gala aurait lieu le seize octobre et j'allais définitivement devoir me charger du discours d'ouverture, ce qui me réjouissait toujours aussi peu. J'avais passé une partie de l'été à éviter mon +1 et l'autre à travailler pour ne plus y penser. Les mains légèrement moites, je regarde Ford alors que nous sommes tous les deux assis dans la voiture qui nous guide jusqu'au lieu de réception. Pitié, si je me ridiculise, renverses le contenu de ton verre sur mon père pour détourner l'attention. C'était une demande un peu enfantine mais mon ton était sérieux. En temps normal, j'étais l'aînée que l'on présente et qui fait ses plus beaux sourires. J'étais celle qui se faufile entre les gens, rit à deux-trois blagues, place une main sur un avant-bras et exerce une légère pression sur ce dernier, comme pour signifier un quelconque intérêt. J'étais cette jeune femme flamboyante qui manipulait pour que les dizaines de milliers de dollars de dons deviennent des centaines de milliers de dollars mais clairement pas celle qui ouvre le bal. Ou tu te mets à applaudir pour que je m'arrête, t'as le choix. Ma main glisse vers la sienne et j'exerce une légère pression sur ses doigts, cherchant le courage dont je manque clairement à ce moment précis. La voiture ralentit et nous nous stoppons devant l'entrée de la salle de réception. Tout va si vite que je n'y vois que du feu : je lâche la main de Ford pour sortir de la voiture, j'entre dans la salle à ses côtés, j'embrasse la joue de mon père, il prend Ford dans ses bras pour le saluer et le remercier d'être ici et alors qu'ils sont en pleines retrouvailles, je croise le regard de Wendy un peu plus loin. On se voit tout à l'heure ? Que je demande à l'Anglais avant de filer vers ma meilleure amie. Une embrassade rapide et je souffle Dis-moi que je suis belle et qu'au pire, j'ai ça. Je ris nerveusement et commence à jouer avec le petit sac que la styliste m'a autorisé à avoir avec moi. De toute façon, il me fallait quelque chose pour y mettre mes flash-cards et mon téléphone. Ma chérie, il est l'heure. J'entends mon père souffler ces quelques mots en posant sa main dans mon dos. Je n'ai même pas eu le temps d'évacuer le stress avec Miss Witter que me voilà déjà presque partie dans un Ouragan de responsabilités. J'ai pas de rouge à lèvres sur les dents hein ? Je souris largement à ma meilleure amie, embarquée par mon père, comme si j'étais une gamine de cinq ans qu'on essayait de faire sortir du parc à boules de chez McDonalds.

Sur scène, les lumières sont braquées vers moi et il m'est difficile de reconnaître qui que ce soit dans la marée humaine que je sais là. Il me faut quelques minutes de discours pour réussir à distinguer Ford dans la foule, pas très loin du reste de ma famille. Ils ont tous l'air fier et ça me détend quelque peu. Pas assez pour ne pas avoir l'impression qu'il me manque de l'air à chaque carte que je tourne gracieusement, mais assez pour ne pas bégayer et pour articuler comme il faut. Ce soir, comme tous les autres soirs, nous sommes heureux de vous accueillir pour ce gala. Chaque Pfizer ici présent porte une couleur distincte. Après avoir été forcé à ouvrir ce gala par mon père, Un rire général émerge de l'audience. Ils connaissent tous mon père et savent qu'aucun d'entre nous n'est capable de lui tenir tête. j'ai décidé d'imposer un dress code à ma famille. Ils ont du choisir la couleur du cancer ou un motif d'une cause pour lequel ils décident de récolter des fonds ce soir. Le rose pour le cancer du sein pour moi... Je montre ma robe rose Giorgio Armani (sans les rubans noirs) d'un léger mouvement de mains mais tout le monde pouvait la voir sans soucis. Et je vous laisse deviner qui a décidé de soutenir quelle cause. Un clin d'oeil en direction de l'audience, j'enchaîne J'espère avoir le temps d'échanger quelques mots avec chacun d'entre vous ce soir mais si ce n'est pas le cas, bonne soirée à tous. Les applaudissements retentissent dans la salle et c'est ainsi que je quitte l'estrade, un large sourire sur le visage. Je l'ai fais ! Bon sang, je l'ai fais ! Je ne m'en croyais pas capable et pourtant... J'enlace rapidement mon père qui monte sur scène après moi pour ajouter quelques mots et je me dirige vers Ford. Plus jamais, j'ai détesté ce moment ! Je me penche vers lui et laisse mon bras s'enrouler autour du sien. Mon regard file sur la salle pour retrouver Wendy et quand je croise son regard, je me dirige dans sa direction, emportant Ford avec moi. Je voulais te présenter ma meilleure amie, elle est plutôt féroce mais elle sait que tu m'as aidé avec le discours. Elle ne va peut-être pas l'adorer mais j'ai presque foi en Wendy pour respecter ce que je lui ai demande. Wendy, je te présente Ford. Les paillettes que j'ai dans les yeux m'empêchent de comprendre ce qu'il se passe mais je vais bientôt le savoir.

Il faut des exceptions à tout. Willow est la mienne. Toujours pour la même raison, parce qu’elle était là, avant que le venin ne se distille dans mes veines. Cette période que j’essaie encore d’oublier, sans pouvoir, d’elle, me détacher. Elle est peut-être la preuve vivante qu’il y a un cœur, derrière la froideur de Wendy Witter.

Alors je me suis pointée au gala, habillée presque sobrement, pour la laisser briller. Et qu’on ne vienne plus jamais me dire que je ne suis qu’une pétasse égoïste qui ne pense qu’à moi. Parce que ce soir, je suis prête à me mettre en retrait, et c’est un foutu exploit. Je ne compte même pas évoquer, l’essor de Witter industries. Non, elle est pour les Pfizer, cette nuit. « Dis-moi que je suis belle et qu'au pire, j'ai ça. » Une tornade rousse et rose. Je pince mes lèvres, « T’es belle, et au pire, t’as ça. » Je lui offre un sourire carnassier, me moquant de ma fausse docilité. « Je me suis entraînée pour ton cher et tendre. » J’ai aiguisé ma gentillesse, comme demandé. « Ma chérie, il est l'heure. » Son père, que j’accueille d’un mouvement de tête, et souris avec sincérité à Willow ce coup-ci. « J'ai pas de rouge à lèvres sur les dents hein ? » Et ne peut me retenir de lui souffler avant qu’elle ne disparaisse, « Si c’était le cas, je ne te le dirais pas. » Il ne faut pas abuser de ma bonté.

Et attrapant une coupe de champagne, je la regarde dominer la foule présente, entamer son discours, l’écoute, les commissures de mes lèvres légèrement arquées. C’est peut-être mon ainée, mais ça ne m’empêche pas de ressentir de la fierté. Purée, je me donne envie de gerber. Le discours terminé, elle redescend sur terre et c’est en buvant une gorgée de mon champagne que je la perds. Jusqu’à ce que mon regard croise à nouveau le sien, je ne vois pas directement le bras qu’elle tient. « Je voulais te présenter ma meilleure amie, elle est plutôt féroce mais elle sait que tu m'as aidé avec le discours. » Féroce, c’est un euphémisme. Je m’arme de mon plus beau masque d’amabilité – pour elle – à l’instant où le bleu de mon regard se décale sur le côté, et les bulles du champagne manquent de m’étouffer. « Wendy, je te présente Ford. » Wendy… tu as promis. Enfin… Est-ce que je l’ai vraiment fait ? Faudrait que je reprenne mon portable afin de vérifier. « Willow, » je reprends posément, tout en lissant ma veste de tailleur blanc, « pourquoi j’ai l’impression que tu essaies de me présenter mon assistant ? » Et je l’ai demandé, avec le dédain le plus délicat du monde, vraiment. Les promesses ne sont que du vent.

C’est un exercice que je ne maîtrise pas et je déteste l’idée de me ridiculiser. Je ne pense pas que ça va arriver vu le nombre d’heures que j’ai passé à répéter ce discours mais on ne sait jamais. Avec le live, tout peut déraper. Mais quoi qu’il arrive, je sais que j’ai Ford et Wendy à mes côtés. Ainsi que toute ma famille. Chacun leur rôle mais c’est ce qui fait l’équilibre de ma vie. Ce soir, je suis un peu comme une tour de Jenga qui tangue de tous les côtés, prête à s‘écrouler. Mais tant que les fondations ne bougent pas, je sais que je n’ai rien à craindre. D’un groupe d’invité à l’autre, je me dirige entre les visages les plus importants, quittant celui qui m’intéresse le plus entre de bonnes mains pour retrouver celui qui saura me mettre du plomb dans la tête. Tout est pourtant furtif mais assez singulier pour rester avec moi lors de ce discours. Soulagée et débarrassée - enfin, pas totalement - je retrouve Ford et accueille son bras et la coupe qu’il tient avec simplicité. Ou deux. Je souffle ces mots en lui adressant mon plus beau sourire. Peut-être même trois, si tout se passe bien et que j’arrive à me diviser pendant la soirée. Je ne veux pas penser au travail qu’il me reste encore pour ce soir, souhaitant présenter celui dont j’ai vaguement parlé à Wendy. Je suis restée évasive, ne souhaitant pas qu’elle se fasse une idée basée sur les “on dit”. Je sais à quel point ils peuvent être assassins, il n’y a qu’à voir ce qui se dit sur la rousse. Bon, tout n’est pas faux, loin de là, mais ça ne va jamais plus loin que la surface. Quand on creuse, on voit beaucoup plus chez Wendy. Enfin, moi je le vois, je le sais. Les présentations sont rapides et si je pensais que le plus dur de ma soirée serait de battre des cils auprès de riches investisseurs, je crois que je viens de trouver une bombe dont je ne connaissais même pas l'existence. Vous savez, un peu comme on voit encore souvent en France. “Les démineurs sont en chemin pour s’occuper de l’obus trouvé dans le jardin de la grand-mère de la voisine du maire de Verdun”. C’est tout à fait ça. Willow, pourquoi j’ai l’impression que tu essaies de me présenter mon assistant ? Je plisse mes yeux et fronce mes sourcils. Quoi ? Un seul mot soufflé à voix basse. Je sens mon estomac se nouer légèrement. Non. Vraiment. Je n’avais pas besoin de ça. Pas ce soir, ni aucun soir en fait. Mademoiselle Witter, toujours un plaisir. Je manque de m’étouffer avec ma propre salive alors que mon regard glisse sur le bras que Ford tend vers Wendy. Il l’a appelé Mademoiselle Witter. Est-ce que c’est lui le nouvel assistant qu’elle a depuis cet été ? J’avale ma coupe de champagne d’une traite, la pose sur un plateau qui passe par là et les regarde tous les deux, l’un après l’autre. De ma main libre, je pince l’arrête de mon nez et ferme les yeux quelques secondes. Non, vraiment, ça ne peut pas être ma réalité. Vous vous jouez de moi, c’est ça ? Que je demande en rouvrant les yeux, les yeux rivés sur ma meilleure amie. Le Ying de mon Yang. Tu m’as dis que t’avais un assistant incompétent. Je l'interroge du regard et me demande vraiment si ce n'est pas une petite blague entre eux deux. Mais le sérieux de Ford me fait comprendre que ce n'est pas le cas. Si me torturer ferait plaisir à la rousse, le brun ne me ferait pas ça. N'est-ce pas ? Cette soirée est un cauchemar. Et elle ne fait que commencer ! Mon bras se décroche de celui de Ford pendant quelques secondes parce que ma main glisse le long de ce dernier jusqu’à s’accrocher délicatement au poignet du jeune homme. Mes doigts filiformes se posent dans le creux de sa paume alors que le talon de ma main se dépose délicatement sur le bracelet de sa montre. Une légère pression pour lui signifier tant de choses que je suis incapable de dire. Et pour m’excuser de tout ce qu’il risque d’arriver.