Solitaire lunaire + Safiya

Solitaire lunaire. Sur la surface lisse, son reflet s’épanche. Claire obscure. Solitaire ombre. Retrouve la place habituelle. Silhouette allongée. Au bout du ponton. Rougeoie dans la nuit noire, l’extrémité du joint. Aspire sa toxicité. Décontraction dans les omoplates. Fumée rejetée. Noie la fatigue. Laisse place à la plénitude. Berce son ouïe, le clapotis de l’eau. Rassure le paumé. Disperse les pensées. Stagne le garçon. Sur l’instant présent, il reste. Fait abstraction du reste. Juste le moment compte.

J'ai besoin de me dépenser un peu et de ne pas être entourée de tout ce monde qui gravite autour de moi. Une seule excuse : faire un peu de running à une heure peu habituelle. La course me fait un véritable bien, comme si ça faisait longtemps que je n'avais pas eu ce moment propre à moi-même. Mes pas me portent jusqu'aux quais. En règle général, je ne fais pas attention aux passants ou toute personne autour de moi. Mais au moment de faire demi-tour, je remarque cette silhouette. Elle me semble mélancolique et je me sens un peu inquiète. C'est un lieu parfait pour ça. Haletante, je m'arrête dans ma course. -- Tout va bien, Monsieur ... ?

S’impose par dessus le clapotis de l’eau, la voix. Féminine. L’œil qui s’ouvre. Tourne l’ovale dans la direction. Auréole de lumière pâle. Entoure la silhouette. Force le contre jour. « J’parais si vieux. » De sa place, il se redresse. S’assoit pour laisser pendre ses pieds dans le vide.

Je ne me vouais qu'à éviter une trop grande douleur si les desseins qu'il vouait étaient trop sombres. Lorsqu'il tourne la tête, je trouve cela dommage qu'un si bel homme s'abandonne. Sa réponse me déconcerte et je ne retiens pas le rire nerveux. -- Pas vraiment. Simple politesse. je m'approche un peu et m'assoit avec douceur. je garde une distance de sécurité mais pas trop. -- Tu ne m'as pas répondu si ça allait. je n'ai pas vraiment envie de nager à cette période de la journée.

Nervosité dans un rire. La réponse qui s’expulse. Attire l’œil du blond. Sur l’ovale de l’inconnu, il se concentre. Observe les traits fins malgré la pénombre. Écoute la bienveillance qui s’écoule de sa question. Provoque le sourire en coin. Il comprend le fond. Imagine assez bien, l’image qu’il a du refléter. Seul sur le ponton. Elle sait pas, elle, que c’est habituel. La routine. « J’compte pas m’foutre en l’air si c’est ça qu’tu te demande. » Frôle la surface noire, les chaussures. Tire du joint, le bienfait. Pour lui. Avant de jeter un nouveau coup d’œil à la jeune femme. « T’fais quoi ici ? Toute seule. » Du moins, si elle l’était, mais il suppose.

Je n'étais pas la personne la plus serviable, je pourrais même me penser égocentrique par moment. Mais je me suis toujours refusée de voir une personne s'ôter la vie. inquiétude qu'il disperse avec douceur, à l'image des nappes fumeuses que je devine pas seulement constituée de tabac. -- tant mieux. il a un beau sourire, ce serait dommage. -- flemme d'aller nager pour te récupérer. surtout que je barbote à peine. à l'instant, je me rends compte que je me suis détendue. -- j'avais besoin de respirer. j'étouffe un peu où j'étais. les murs de mon cocon se limite au métal de mon van. peu de lumière et d'espace. Courir, ça donne l'impression d'être en liberté. -- Et toi ? mes yeux se posent sur l'horizon, je m'accorde un peu de temps de repos avant de reprendre ma course. peut-être.

Elle le fait sourire, sa réponse. Typiquement le genre de phrase qu’il aurait pu balancer. “Tu t’sentirais obligé d’aller sortir d’la flotte un mec qui veut crever ?” Les orbes narquoises, se braquent sur la brune. Discrètement, il capte les épaules moins tendues. Le dos qui s’arrondit. Presque à l’aise. Latte tirée, il écoute la sincérité. Lancée sans retenue. “T’étais où ?” Fumée coincée dans les poumons, questionne la gamine. Puis, recrache la brume. L’offre au cieux. “J’viens ici quand j’ai besoin d’prendre l’air.” Le bleu de ses prunelles, attiré par l’océan. Ressort en lui, le gamin qui rêve d’évasion. Se positionnant différemment, le blond ramène ses jambes sur le ponton. Laisse une des deux pliées. Amenées contre lui.

les épaules se haussent. -- pas toi ? je ne pouvais pas laisser mourir une autre personne dans ma vie. je sais que ça fait quand une personne disparait subitement et les conséquences. j'observe l'horizon, la mélancolie me guette. mon état d'esprit ne peut pas être plus bas de toute manière. -- chez moi, si on peut dire. comment expliquer que chez soi, c'est un van qu'on change de place la nuit dans une rue que l'on espère sûre. coincée dans une cage métallique, dans une ville que je n'arrive pas à aimer totalement. je vois que lui aussi, il essaie de respirer. à sa manière. -- c'est le bon endroit pour ça. presque personne pour t'emmerder, sauf une petite brune trop inquiète. le bruit des vagues et les étoiles qui se reflètent dans l'océan. -- A quoi tu penses ? pour en avoir besoin.

“Pas si j’prends l’risque de crever.” Menteur. A moitié. Il n’y a jamais été confronté, mais surement qu’il essaierait de faire quelque chose. Peut-être. Aspire la dernière taff. Le regard fuyant qui observe l’horizon, mais qui parfois, dérive sur l’inconnue. Elle aussi. Elle a le regard ailleurs. Sans pour autant correspondre à la fille paumée. Joint frotté contre le ponton, il fait disparaitre le bout restant dans l’une des poches de son jean. Ignore le fait que le tissu s’imprégnera de cette odeur froide boisée. Ecœurante. Sur l’eau lointaine, ses opalines s’amarrent. Il se surprend à disparaitre dans le silence. Avec elle à côté. Et puis, vient la question. A quoi il pense. Devine la profondeur de l’interrogation. Pourtant, il n’y répond pas tout de suite. A quoi il pense quand il vient ici ? Quand il se perd dans l’eau sombre. C’est son avenir sans avenir qui lui vient. Son passé. Trop présent. Ses frères et soeurs qui le maintiennent au-dessus des flots. Sans eux, il ne sait même pas ce qu’il serait devenu. Tout ça, c’est dans sa tête. Ça la remplit. Constamment. Et ça ressort plus fort avec la solitude. Mais tout ça, il ne le dira pas. A la place, il se contente de dévier. “Au bruit de l’eau.” Passe sur la surface une onde. Provoque une légère vaguelette. Elle qui caresse les pilotis. “ ça vide la tête.” Pourquoi est-ce qu’il balance ce genre de connerie ? Sérieusement.

Mes épaules se lèvent. -- Légitime. je n'ai pas le même état d'esprit que lui mais je peux comprendre le désir de vouloir rester en vie. c'est humain. c'est l'inconnu qui se dresse avec le désir de vouloir respecter son espace vital. cet endroit est le contraire de là où je vis, entre quatre parois métalliques. je me permets de le questionner, lui laissant une porte ouverte pour me dire si je demande trop. en soi, je ne le pense pas mais allez savoir. j'esquisse un petit sourire à sa réponse. c'est logique mais ça aurait pu être plus profond que ça. Je comprends qu'il souhaite se vider la tête. -- Je vois. C'est toujours mieux que de noyer ses soucis dans l'alcool. au pire, qui suis je pour juger ? -- Tu as des soucis ? mince, j'avais dit que je respectais sa vie privée. -- enfin, si tu veux le dire. je comprendrais que tu ne veuilles pas.