le repère du grinch (horace)

Tes parents sont absents pour la soirée, t'es passée derrière les fourneaux pour préparer plein de petits fours, les verres de champagne sont disposés autour de la piscine chauffée : tu sais même pas pourquoi tu te donnes autant de mal pour lui. Peut-être qu'au fond, et ce même si tu ne l'avoueras jamais, tu apprécies sa compagnie. T'es intriguée par son comportement, par son histoire ; même si tu peux laisser penser le contraire t'as pas envie d'être la gamine riche qui découvre les secrets de son jouet fétiche, au fond t'as vraiment envie de le connaître, de savoir ce qui s'est passé dans sa vie pour qu'un jour il se retrouve à être payé par ta petite personne pour te rendre service. Et malgré tout quand tu lui ouvres la porte de ta demeure tu peux pas t'empêcher de remettre ton masque de peste, de jouer à la fille déplaisante et aigrie. ❝ Depuis quand t'as le privilège de te faire attendre, toi ? ❞ tu refermes le grand portail derrière lui, scellant votre soirée à deux. ❝ T'as pas oublié ton maillot de bain, j'espère. ❞

Y a cette boucle qui me les casse depuis dix minutes, ça s’ordonne n’importe comment, et ma tenue donne moins bien que prévu. Pas assez ou trop, je cherche l’harmonie excessive et j’me juge dans le même regard. Pauvre miroir qui n’sait plus quoi refléter. Dawson, paumé entre un j’m’en foutisme illusoire et la pression de ce monde qui lui crame les empreintes. A trop vouloir me couvrir d’or, j’en accepterais n’importe quoi - mais j’veux pas être n’importe qui. Gigolo de compagnie, qui, maillot de bain et tenue réfléchis, s’est pointé dans un japonais et a pris un peu tout et n’importe quoi. Et des frites. J’sais pas pourquoi. J’sais pas ce que je fous en fait. Ça coûte une blinde en plus, cette connerie de jap’. Tout pour donner le change, quand j’te tends ce sac alors que t’as ouvert le portail y a deux secondes. “Depuis que j’me suis donné la mission de te nourrir.” Un rictus amusé, comme un match qu’on aurait jamais vraiment cessé. “Y a le même portail dans la belle et la bête non ?” Le regard balancé vers le truc imposant qui nous enferme. Pas dit que j’parvienne à l’escalader, celui-ci. “Ja-mais j’louperais ma séance piscine chauffée.” Trop heureux, le gosse. Qui n'ose pas vraiment s'avancer, et profite que tu sois à côté pour s'assurer d'un : “ Elle est chauffée, hein ?” Ouais, j’le sais que t’es capable de me regarder m’élancer dans une piscine à la même température que l’air. Balancer des conneries, oublier qu'c'est un peu bizarre, d'être ici.

Ils hurleraient de te voir au bord de la piscine avec un garçon, tes parents. Ils s'arracheraient les cheveux à l'idée de savoir que leur précieuse fille à fait entrer dans leur demeure un individu qui n'est pas de la haute société, qui ne brille pas sous les feux des projecteurs. Emmitouflée dans ton peignoir blanc, ce soir tu te fiches de toutes les règles imposées par ta famille - tu le montres pas mais t'as envie de passer la soirée avec un garçon qui ne te parle pas comme un poète et dont tu dois décrypter les moindres vers. ❝  Et le caviar ? ❞ reproche teinté de plaisanterie quand tu attrapes le sac et que tu jettes un coup d'oeil à l'intérieur. Tu sors la nourriture sur la table de jardin, avec les petits fours et le champagne. Regard amusé en direction du portail de fer. ❝  Et t'es plutôt la bête ou gaston, toi ? ❞ en tout cas tu n'es pas la belle, millie. ton coeur est trop impur pour être l'une de ces potiches de disney. C'est tant mieux, t'as toujours préféré la force de caractère de Ursula. ❝  Évidemment qu'elle est chauffée. À quoi ça sert une piscine si elle n'est pas chauffée, tu croyais que j'étais passionnée par l'idée de faire des longueurs ? ❞ tu glisses entre ses doigts un verre de champagne et en récupère un que tu portes à tes lèvres. Ton peignoir glisse le long de tes épaules, tes jambes commencent à descendre les marches de la piscine. Sans le regarder tu lui lances un dernier ❝  Il y a encore cinq minutes je pensais que tu ne viendrais pas. ❞ avant de poser ton verre sur le rebord et de plonger dans l'eau chaude, te coupant quelques instants du monde extérieur.

L’âne revêtu d’une peau plus reluisante que d’ordinaire, juste de quoi passer le portail et n’pas t’faire honte. J’gommerais rien de ce que je suis, j’améliorerais pas ma diction ou mes attitudes, mais quand j’suis à tes côtés j’veux pas être la tâche du décor. J’le tourne dans plein de sens, et y en a pas un où j’arrive complètement à me foutre de ce que tu penses. Me le soufflez pas trop fort, c’est pas ce dont je suis le plus fier. “Il était tout noir, j’l’ai jeté.” Amusé, balle perdue que je m’auto inflige. Vas-y, demande toi si le paysan a déjà sali sa langue de ces billes. La vérité ? J’ai trouvé ça dégueulasse. Rictus amusé. “Je suis…” Pas aussi con que Gaston, pas assez érudit pour être la Bête ou Belle. “Lumière.” Fin sourire, un regard vers la table installée, désignée d’un mouvement de tête. “J’pourrais tout faire danser là tu vois, mais tes sbires ont trop bien travaillé.” Forcément, forcément, c’est l'œuvre de petites mains. Des petites mains comme les miennes, abîmées d’être trop utilisées. Mais des mains qui aiment la sensation des bulles, se mourant contre les parois d’une coupe. Je ne sais plus où regarder. La piscine, autour. Le champagne, la bouffe. Toi. Ton peignoir qui glisse comme si c’était chorégraphié. J’en suis la chute avec une attention trop peu masquée, les lèvres occupées par une, deux gorgées. Ca évite d’avoir les bras ballants et la bouche hébétée ; un verre. T’as disparu sous l’eau, et c’est soufflé pour personne : “Comme si j’allais louper ça.” Le tout. Je suis la victime idéale pour un guet-apens, impulsif et irréfléchi. Heureux idiot, qui regarde tout autour, illumine ses traits, kiffe un instant, les orbes baladées, ta tranquillité aquatique respectée quelques secondes. Jusqu’à ce verre abandonné sur le rebord, les vêtements qui dégagent, délaissés sans ordre, et dans un cri gamin, le corps se balance dans la flotte. La chevelure s’agite ; cabot mal élevé. A la surface j’te cherche du regard. “Cet endroit est beaucoup trop cool.” Le tout, encore. “Bon courage pour me sortir de là.” Un large sourire amusé, et la silhouette, qui flotte. Un morceau d’un rêve fait pour les autres.