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she's a stroppy girl
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libre.
vendredi 31 octobre 2023
parking de l'université
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vendredi 31 octobre 2023
parking de l'université
"Whither goest thou, America, in thy shiny car in the night?"
Jack Kerouac
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Jack Kerouac
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C'est en jetant un œil sous ses jupes que je remarque à quel point je suis miraculé d'avoir réussi à l'amener de Back Bay au parking de l'Université. J'avais toutes les chances de la faire mourir sur la route, de devoir la laisser sur le bas-côté. Mais elle a tenu le coup, en ne manquant pas de toussoter quelques fois, prenant soin de me faire paniquer à chaque tremblement. Cette vieille ruine pourrait bien vivre ses dernières heures, mais je compte bien tout faire pour lui sauver la vie. J'ai acheté cette carlingue alors que j'avais encore du mal à joindre les deux bouts, vers la fin de ma thèse. Un gars que j'avais rencontré à un concert, un garagiste, me l'avait vendue avec une sérieuse ristourne, pour 3 000 tickets. Elle avait déjà parcouru un sacré bout de chemin quand j'en ai fait l'acquisition, et elle m'a fidèlement servi pendant les 20 années depuis lesquelles je suis son propriétaire. Cela ne m'a toutefois pas empêché de mettre la main au portefeuille un incalculable nombre de fois pour la maintenir en vie. J'en aurais eu pour beaucoup moins cher si j'avais décidé d'acheter une caisse toute neuve. Mais je suppose qu'en bon Américain moyen, je suis pathologiquement attaché à ma voiture. Et, de toute manière, je ne peux pas me décider, du jour au lendemain, sur un caprice, à envoyer une magnifique Ford Mustang v8 de 1968 à la casse.
J'ai rapidement dû m'adapter pour pouvoir profiter de cette voiture le plus longtemps possible. J'ai emmagasiné le maximum de savoirs et de compétences possibles autour de la mécanique, à la fois dans les bouquins et auprès des garagistes dont je faisais la rencontre sur la route. Avec le temps, j'ai appris quelques trucs : je sais changer un carburateur et a identifier un problème sur un moteur. Mais mes compétences sont loin d'être exhaustives et, souvent, je dois me résoudre à affronter les garagistes qui tentent de me convaincre à chaque fois d'abandonner une bonne fois pour toutes cette vieille épave ravissante. Et c'est à ce moment-là que je mets la main au portefeuille et que je souffre.
J'ai décidé de la faire rouler de mon emplacement de parking personnel au parking de l'université pour une raison simple : les opérations que je m'apprête à accomplir risquent de mal tourner aujourd'hui, et autant salir une place de parking publique que la mienne. D'aucuns me rétorqueraient que ce n'est pas une position très altruiste, à raison. Mais, pour le prix que me coûte, chaque mois, cette foutue place de parking personnelle, j'admets que mon cerveau bascule facilement sur le mode particulièrement reptilien du : "je bouffe autrui pour éviter qu'autrui ne me bouffe". Le fait est que mon raisonnement était le bon : le t-shirt blanc que je suis en train de porter est mort, ne restera plus qu'à le foutre à la poubelle. Mon jean délavé aussi. Je n'ose à peine imaginer les traces de cambouis que j'ai sur mon visage.
Je suis actuellement sur mon chariot à roulettes, à ausculter scrupuleusement les dessous de la voiture (j'ai cru entendre un petit "bang" quand j'ai enclenché la direction en sortant de mon garage : arbre de transmission ?). C'est à ce moment que je suis à mon plus vulnérable. Il suffit d'un flic pour que je prenne une généreuse prune, que le véhicule soit immobilisé voire, si l'agent de la maréchaussée est procédurier, que je finisse au trou. L'amende, je peux m'en débrouiller ; les deux autres issues, j'aimerais les éviter. Et à ce moment précis, je ne verrais personne arriver, ni un flic, ni qui que ce soit d'autre.
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