Lexie inspecte son reflet dans le miroir de sa salle de bain et se dédie un petit sourire satisfait. La tenue est classe, une chemise blanche, un pantalon à pinces, noir, plutôt classique mais qui ira très bien avec l’ambiance de la soirée qui sera, elle peut déjà l’annoncer : morose. Voilà. C’est aussi pour ça qu’elle a choisi délibérément de mettre cette tenue. Puis le reste du coquard qui décore son œil droit apporte une petite touche de maquillage en plus. Et ça la fait doucement ricaner.
« Ce soir 19h30. Viens en robe. Sois à l’heure cette fois-ci. »
Elle vérifie la montre dorée qui orne son poignet : 19h30, et sourit narquoisement. Voilà qui est parfait : Elle sera en retard et tant mieux. Ces soirées mondaines sont un calvaire. Pas seulement parce qu’il n’y a que des gens insupportablement imbus d’eux-mêmes et ennuyeux à mourir, mais surtout parce que depuis quelque temps, son cher tonton s’est mis en tête de lui présenter les fils ou les neveux de ses collaborateurs dans le but de la caser ! Bien sûr Lexie ne dit rien, elle sait bien ce qu’elle risque en tapant un scandale, mais si elle peut pourrir un peu le dîner, en faisant en sorte de se montrer la moins avenante possible, ça c’est dans ses cordes. C’est tellement contraire à ses principes et sa nature profonde, qu’elle rentre souvent éreintée de ce genre de dîners, mais… le jeu en vaut la chandelle comme on dit !
Lex’ se saisit de son sac à main et regarde une dernière fois son téléphone. L’écran n’affiche rien. Aucune notification, à part celle d’uber eat, qui lui annonce la réduction de 30 pourcents chez sushis shop… mais… aucun message de Mia. Elle soupire et sent son coeur se serrer un peu plus. Depuis quelques temps, elle a le pressentiment que son amante s’éloigne, qu’elle impose une distance entre elles. Ça vient creuser comme un vide dans sa poitrine, un vide qui pourtant pèse lourd et l’empêche parfois de respirer quand elle y pense trop. Et l’évidence la frappe, comme un coup de poing, la projetant au sol, elle essaie bien de la combattre, de repousser ses attaques, d’ignorer cette vérité. Mais ça devient de plus en plus difficile, parce que la douleur n’est plus seulement psychique… elle la sent pulser là dans son coeur, dans son ventre, dans ses poumons, dans son crâne. Tout son corps hurle de concert avec son âme. Cette situation n’est plus vivable et en même temps… elle ne se voit plus faire sans. Sans tout ça, elle ne serait plus rien qu’une coquille vide.
Tu peux pas rester comme ça… c’est ce que sa conscience essaie de lui dire, mais ses sentiments eux ne veulent rien entendre. Ils ne peuvent supporter la vérité, car cela impliquerait probablement de LA laisser partir… et cette pensée est insupportable.
Lex’ glisse son téléphone dans son sac, espérant avoir une notification dans la soirée. Cela viendrait égayer ce dîner des enfers !
…
Elle entend déjà le bruit de la foule d’invités et sent la migraine pointer le bout de son nez. Putain va falloir encore se coltiner ces connards et devoir accepter la drague d'un énième prétendant. Elle se pince l’arrête du nez, souffle un bon coup, et passe les portes.
Elle n’a pas le temps de faire trois mètres que son oncle l’attrape par le bras et lui souffle à l’oreille :
« T’es en retard ! »
Elle hausse les épaules et répond sarcastiquement
« Ouais pardon, j’ai loupé mon réveil. »
Il lève les yeux au ciel et elle jubile en le voyant agacé. Il la toise de haut en bas et soupire.
« Tu as l’air d’un boxeur en costume, c’est affligeant !J'ai quelqu'un à te présenter tout à l'heure, il est jeune, dynamique et son père est un ami proche, tu aurais pu au moins camoufler ça » Fait-il en désignant le bleu sous son œil. « C’est pas grave, on n’a pas le temps, laisse-moi te présenter aux invités. »
Et il l’emmène de groupe en groupe, comme à chaque fois. La présente comme sa chère nièce qui fait ses études à Harvard, grâce à lui bien sûr. Lexie ne dit rien, se contente de sourires polis et de remarques banales. Putain quelle corvée ! Elle espère au moins que la bouffe sera bonne. Alors que son cher tonton l’entraîne vers de nouveaux convives, Lex’ se saisit d’une flûte de champagne dont elle avale une grande gorgée, quitte à être ici, autant en profit… elle manque de s’étouffer lorsque son oncle la plante devant… Mia… et son mari… ils ont mis quoi dans le champagne ?! Elle hallucine n’est-ce-pas ! Mais non, son oncle la présente :
« Je vous présente ma nièce Lexie, elle fait ses études à Havard, c’est moi qui lui ai permis de s’inscrire. » annonce-il avec un sourire fier "Je voulais qu'elle étudie la finance mais... elle en a décidé autrement." il lève les yeux au ciel
Oh merde… oh putain. Et Aaron qui va faire le rapprochement. C’est la panique dans l’esprit de Lexie qui ne sait vraiment pas où se mettre.
Ne la voyant pas réagir Niels Frye lui donne un coup de coude et Lexie murmure un : « bonsoir... » après s'être râclé la gorge, en évitant soigneusement, le regard de Mia et encore plus le coup d’oeil intrigué de son mari. Oh boy, c’est horriblement gênant. Elle l’entend justement interroger son épouse ( et ce mot la fait grimacer intérieurement) :
-Vous vous connaissez donc de Havard ?
Shit… Mia esquive superbement la question en orientant la conversation vers Lexie.
— Les domaines littéraires et artistiques sont toujours sous-estimés. Tu as fait un très bon choix, Lexie.
Cette remarque lui fait chaud au coeur, puis elle vient directement mettre un uppercut dans la fierté de son oncle qui fait la moue et Lex’ ne peut s’empêcher d’esquisser un petit sourire, malgré la gêne ultime de cette situation. Elle ouvre la bouche pour répondre afin de remercier son amante, sincèrement, quand son oncle la coupe :
« Certes, mais à moins d’être Picasso ou Stephen King, ça n’aide pas à gagner sa vie convenablement tout ça… »
Lexie lève les yeux au ciel. Combien de fois il lui a râbaché ce discours. Elle commence à le connaître par coeur, à la virgule près. Quelle honte devant Mia putain. Elle se contente de serrer les dents, n’osant rien dire, contenant sa colère, sa frustration et sa gêne qui viennent toutes les trois demander la parole. Bon sang, la soirée va être longue !
Mia avale une gorgée de son vin.
— Pourtant je gagne très bien ma vie…
Et toc ! Victoire par KO pour Mia ! Si la situation n’était pas aussi… tendue, Lex' aurait ricané.
Aaron intervient rapidement en demandant à Lexie :
— Alors, tu as abandonné les cours de cuisine ?
Oh shit, je dis quoi, je dis quoi, je dis quoi, je dis quoi ?!!
Pour se donner une demi-seconde supplémentaire de réflexion Lexie boit une grande gorgée de champagne, puis deux… elle s’arrête là avant que ça devienne suspect et renchérit.
« Haha ouais, j’avais juste besoin de quelques bases pour l’anniversaire d’une amie. Grâce à Mia j’ai pu faire quelques gâteaux délicieux. »
S’il te demande le nom de cette amie, ne panique pas et ne réponds pas Robert… je sais que c’est le premier prénom qui te viendra à l’esprit.
Niels Frye hausse un sourcil interrogateur en la regardant. Quoi ? C’est si surprenant que ça qu’elle prenne des cours de cuisine ?
Aaron passe un bras autour de ceux de Mia et lance un regard fier.
— Elle ne s'arrête jamais, même à la maison. C'est... inspirant, une telle passion pour l'enseignement.
Le sang de Lexie ne fait qu’un tour, sa jalousie est quasi palpable et elle se retient de lui jeter son verre de champagne dans la figure. Mais Mia interrompt ses envies de meurtre :
— Excusez-moi, je vais faire un tour aux toilettes.
Et s’eclipse.
Ok elle a compris le message : Lexie attend quelques secondes avant de lever les yeux vers son oncle et de dire le plus naturellement possible :
« Elle ne sait probablement pas où c’est j’vais… lui montrer»
Il semble convaincu, de toute façon elle le voit ensuite emmener Aaron vers d’autres convives. Elle boit cul sec sa coupe, la pose sur un plateau et se met en quête de Mia.
Bon il s’averait que les toilettes n’étaient pas difficiles à trouver, puis le personnel a dû indiquer correctement à son amante, le chemin. Mais on sait tous que Lexie n’allait pas vraiment la suivre pour ça. Elle entre dans la petite salle de bain à sa suite. Elle referme précipitamment la porte derrière elles et s’appuie ensuite contre l'entrée.
« Holy shit ! J’ai jamais été autant à deux doigts de frôler la crise cardiaque. » Elle pose une main sur sa poitrine avant de reporter son attention sur Mia : « Qu’est-ce que vous fichez là ?! » puis ajoute en baissant la voix consciente que si quelqu'un passe dans le couloir, il risque de les entendre : « Je suis contente de te voir, là n’est pas le souci, mais chez mon oncle?! C’est le pire endroit du monde pour un date hein ! »
Et voilà ça y est… tu paniques, tu fais de l’humour. C’est vraiment pas le moment !
credits img/gif: pinterest
code by lumos s.