démon mode (lilia)

La nuit est tombée et ses pas le guident sur le campus de la célèbre université, il ne sait pas vraiment ce qu'il fait dans le coin et n'était pas revenu depuis son expulsion. Il ressent comme un pincement au coeur lorsque ses yeux se posent sur les bâtiments, lui qui a tant bossé pour intégrer cette faculté. Lui qui s'est fait dégager comme un malpropre. Et c'est finalement en entendant des ricanements qu'il se rappelle pourquoi cela fait si longtemps qu'il a évité ce quartier. Parce que ses anciens camarades se souviennent de lui, ceux qui déjà à l'époque se moquaient de son compte bancaire et de ses vêtements rapiécés. Ceux qui ne croyaient pas en ses capacités. Aujourd'hui il n'est plus un garçon gringalet bien trop sage, il pourrait passer ses doigts autour du cou de l'étudiant et lui donner une bonne leçon mais il préfère passer son chemin.

Parce que le garçon il a une parole de trop, une parole de travers. Une parole qui fige Narcisse sur place, les poings qui se serrent et les ongles qui s'enfoncent dans sa chair. Alors il se retourne et plante son regard dans celui qui vient d'insulter sa famille. Et c'est comme une furie qu'il se précipite sur lui, prêt à abattre son poing sur la carcasse de l'homme. Sans apercevoir l'ombre qui grandit derrière lui.

Le soleil s'était couché quelques heures plus tôt et la jeune brunette était toujours enfermée dans la grande bibliothèque, elle avait trouvé son bonheur et avait décidé de ne rentrer chez elle que lorsqu'elle s'y fera jeter dehors à l'heure de la fermeture, comme habituellement d'ailleurs, cela n'étonnait plus personne. Alors qu'elle venait de remercier la vieille dame, qui lui consacrait pas mal de temps avec ses nombreuses questions, Lilia marchait tranquillement pour rejoindre son appartement avant de se rendre qu'elle avait oublié de se prendre quelque chose pour le diner. Un petit détour était donc nécessaire ; et lorsque le sandwich qu'elle voulait était bien sécurisé dans son sac à main, elle reprit son chemin.

Alors que le silence régnait dans la rue qu'elle avait empruntée ce soir, des ricanements vinrent aussitôt casser cette ambiance nocturne. Lilia ne preta pas attention à ce qu'il se passait autour d'elle, elle était beaucoup trop fatiguée pour se mêler à quoi que ce soit. Cependant, elle ne savait pas si c'était son âme aventurière bien cachée ou son instinct de justice qui l'habita tout d'un coup, qui fit qu'à la vitesse de la lumière, son poing droit atterrit directement sur le visage de l'auteur des ricanements qu'elle avait entendus plus tôt. «Je crains que tu ne connaisses pas la politesse et que ce ne soit le seul langage que tu comprennes !» Elle avait réellement sorti ça comme ça, à un inconnu ? Tandis que l'autre jeune homme se demandait forcément ce qu'elle venait de faire puisqu'elle ne le connaissait ni d'Eve ni d'Adam. C'est à ce moment que Lilia redescendit sur terre et se rendit compte dans quel merdier s'était-elle entrainée.

La colère gronde tandis que ses poings se ferment de plus en plus, que les ongles marquent la chair de petits croissants de lune. Il déteste entendre des gens médire sur sa famille, cette famille qu'il essaie de tenir du mieux qu'il peut. C'est pour eux qu'il arpente les rues dans la nuit, qu'il fait des jobs pas recommandables : pour leur apporter de quoi manger et payer le loyer. Aujourd'hui il pourrait presque avoir une rolex autour du poignet tant l'illégalité lui rapporte mais il n'a pas envie de se faire choper. Cet étudiant qui a tout, qui est né avec une cuiller en argent dans la bouche, il a envie de tout lui arracher. Il a envie d'abattre son poing sur son visage pour l'obliger à se taire. Mais il aperçoit un mouvement du coin de l'oeil et c'est une autre personne qui frappe. Narcisse braque un regard incrédule sur le visage de la jeune femme, écarquille les yeux avant de se reprendre quelques secondes plus tard. ❝ Mais t'es qui toi ? ❞ une ange gardien ? en tout cas elle vient de se foutre sacrément dans le pétrin et il espère qu'elle n'est pas étudiante à harvard, au risque d'être reconnu par le garçon qui se tortille par terre. Frapper une personne quand on est bras droit d'un gang est une chose, mais elle ? qui est-ce ? ❝ Mais pourquoi t'as fais ça ? ❞ il écoute à peine le garçon menacer d'appeler la police et se plaindre qu'il a le nez cassé.

Incrédule devant la situation dans laquelle elle s'était retrouvée, Lilia se demandait encore ce qui s'était passé quelques secondes plus tôt. Elle était là, planté devant un individu qui se tortillait au sol de douleur, le sang coulait de son nez. Lilia venait de faire ça ? La petite fille à son papa s'était permise de foutre un poing à quelqu'un qu'elle ne connaissait pas. Certes, elle savait se défendre aucun de conflit, mais là n'était pas la situation, personne ne l'avait menacé, c'était elle qui avait initié la bagarre. Le visage de la jeune biologiste palissait de plus en plus, elle s'en voulait mais au fond d'elle-même pas tant que ça. Cette vermine méritait ce coup de poings après les paroles désobligeantes qu'il avait balancées en pleine rue.  Il ne respectait ni le jeune homme en face de lui ni les passants qui n'avaient rien demandé. Alors voilà, Lilia avait pris le rôle de mère Teresa et avait décidé de sauver le monde en usant de la force.

Perdue dans ses pensées tourmentées, Lilia entendait à peine les questionnements du jeune homme qui se trouvait à ses côtés. «Je je... Je n'en sais rien...» C'était l'unique réponse qu'elle pouvait donner. Elle en avait strictement aucune idée du "pourquoi du comment". Son regard se perdait entre les interrogations du jeune homme ainsi que les cris de douleurs de l'autre allongé à leur pied. «Je vais aller en prison ?» On aurait presque dit un enfant au bord des larmes. Si son père ou l'un de ses frères venait à apprendre ce qui venait de se passer, ils risquaient d'avoir une syncope.

Il pouvait prévoir bien des choses mais pas qu'une inconnue débarque de nul part pour frapper sa cible à sa place. D'ailleurs il en est tellement déstabilisé qu'il perd les mots pendant quelques secondes et se contente de fixer la jeune femme en clignant des yeux, étonné de la situation. Il n'est pas un type fréquentable, Narcisse, et elle vient de prendre sa défense sans savoir dans quel merdier elle vient de se mettre. ❝ T'as frappé un étudiant d'Harvard. ❞ il énonce ça comme si c'était pure folie alors qu'il comptait le faire quelques secondes avant. Mais lui c'est différent, c'est un délinquant comme les gens disent. Elle ça a l'air d'être une fille bien sous tout rapport, une fille sage qui a bien réussit ses études et qui excelle dans son métier sans doute, la fille parfaite. ❝ Non, on va pas en prison pour avoir frapper un trou du cul dans son genre ! Mais on ferait mieux de pas rester là ! ❞ alors il attrape le poignet de la jeune femme pour l'obliger à courir. Elle ne risque rien, presque rien. Pas tant que lui ne la balance pas auprès des flics et il ne compte pas le faire. ❝ Moi il me connaît alors il aura mon nom. Toi il ne te connaît pas. N'est-ce pas ? ❞

La panique faisait trembler tout le corps de la jeune brunette. Elle ne savait ni pourquoi elle s’était comportée comme une vraie délinquante ni comment elle allait s’en sortir de tout ça. Elle avait peur oui, elle devait bien l’avouer. Il faisait sombre, la nuit était tombée, elle ne pensait pas que cet arrogant jonché au sol allait reconnaître son visage. Mais le jeune homme à ses côtés lui avoua que c’était un étudiant d’Harvard. «Ha ha ha….Harvard !» Merde…! Bien évidemment, elle se trouvait non pas très loin du campus, elle aurait dû savoir qu’ils auraient pu être des étudiants de la même université qu’elle. Elle avait l’impression que son monde s’écroulait soudainement, si cela s’ébruitait elle était foutue. Bravo le comportement de la doctorante modèle.

Alors qu’elle se demandait si elle allait finir en prison et reniée en plus de cela, l’inconnu à ses côtés, tout aussi sonné qu’elle par la situation, finit par se ressaisir et prit son poignet pour s’enfuir. Venait-elle de commettre une infraction et en plus de cela elle fuyait ? Elle n’en croyait pas ses yeux mais elle continuait à courir parce que sa vie en dépendait. Elle hocha négativement la tête. «Je ne crois pas qu’il me connaisse, enfin moi je ne le connais pas en tout cas.» Les arrogants dans son genre elle évitait généralement la jeune brunette. Alors qu’ils continuaient à courir entre les rues, Lilia sortit ça de nulle part. «Moi c’est Lilia d’ailleurs !» Elle venait de lui balancer son identité, elle ne savait pas si c’était une bonne idée mais dans tous les cas, cette soirée n’était en rien normale.

Il a presque envie d'éclater de rire tellement la situation est incongrue : lui, le bras droit d'un gang, est en train de courir avec une jeune femme qu'il ne connaît pas parce qu'elle a frappé un étudiant à sa place. En fait il pourrait presque s'en foutre et passer son chemin, la laisser se débrouiller toute seule. Mais quelque chose le retient, elle l'a défendu après tout donc il peut pas juste la laisser là.  ❝ Calme toi, il a juste le nez cassé. Il va s'en remettre c'est pas grave. ❞ à cette pensée il se masse instinctivement l'épaule qu'une balle a traversé quelques mois plus tôt. Il aurait préféré avoir un nez cassé plutôt qu'on lui tire dessus.  ❝ Le problème est réglé alors. Si il appelle les flics il donnera mon nom et tant que je te balance pas tout ira bien. ❞ et comme il ne connaît rien d'elle, il ne pourra rien dire. Et c'est pile ce moment qu'elle choisit pour décliner son identité, il se pince les lèvres et se retient de rire.  ❝ Narcisse. ❞ comme ça ils sont quittes.  ❝ Sacré coup de poing, j'aurais pas aimé être à sa place. ❞

Aujourd’hui niveau adrénaline elle était bien servie. Elle ne venait pas simplement de casser le nez d’un inconnu mais il devait, en plus de cela, être étudiant à Harvard. La petite cerise sur le gâteau. Se calmer, lui demandait-il ? C’était trop lui demander pour l’instant, il allait lui falloir un bon moment avant que ses idées ne se remettent en place et que ses battements baissent en intensité. Avant que la police ne débarque et embarque tout le monde, ils décidèrent d’abandonner salement celui qui méritait tout ça et prirent leurs jambes à leur cou. Lilia rirait presque de tout ça mais elle était beaucoup trop stressée pour prendre les choses à la légère. Tout était réglé disait il ? Était-ce réellement le cas ? Était-elle sortie d’affaire ? C’est d’ailleurs à ce moment précis qu’elle lâcha son prénom. Elle qui était si réfléchie habituellement, cette situation la rendait plus bête qu’autre chose. Mais le jeune homme ne semblait pas prendre cela à son avantage, il partageait même le sien par la même occasion, histoire qu’elle ne soit pas la seule cruche de la soirée…

Lilia s’arrêta dans un coin, elle commençait à fatiguer et avait besoin de récupérer son souffle. Elle leva ensuite les yeux sur le jeune aux traits asiatiques «Narcisse ? C’est joli, c’est français aussi. Tu es français ?» Ils allaient peut-être avoir un point en commun. Il complimenta ensuite le spectacle qu’elle avait donné plus tôt ce qui la fit doucement rire. «Je ne pensais pas qu’un jour je serai capable de cogner un inconnu… mais voilà.» Elle soupira ensuite. «Désolé, je t’ai embarqué dans cette course avec moi, mais il a tellement abusé que je n’ai pas pu m’en empêcher.» Pourtant ce n’était pas elle ça Lilia.  

Elle est marrante, l'inconnue. Débarquée de nul part pour venir à son secours, maintenant c'est lui qui essaie de calmer la panique qui grimpe en elle. Pour lui ce n'est rien, c'est son quotidien de régler ses comptes en frappant. Mais visiblement elle, c'est une fille bien. Qui respecte la loi, qui est assez intelligente pour ne pas se fourrer dans des embrouilles. Sauf ici et maintenant. À sa remarque son sourire disparaît brutalement de ses lèvres. ❝ Mon père est français, ouais. ❞ le ton de sa voix laisse sous-entendre qu'il ne porte pas son paternel dans son coeur. C'est un fait, il s'est barré avec une autre femme et c'est depuis ce moment là qu'il a enchaîné les conneries. ❝ Ne t'excuse pas, si tu ne l'avais pas frappé c'était moi qui le faisais. ❞ il glisse ses mains dans ses poches. ❝ Et j'aurais eu pas mal d'emmerdes après ça donc ... merci, je suppose. ❞ il hausse les épaules. ❝ T'as passé une mauvaise journée, pour te défouler comme ça ? ❞

Après s’être débarrassé de l’étudiant et s’être assuré que la police ne leur courrait pas derrière, Lilia finit par s’arrêter quelques secondes pour calmer son cœur battant. Elle en profita également pour faire la conversation et en savoir plus sur le jeune homme qu’elle venait d’embarquer dans sa course. "Narcisse" lui avait-il dit. Elle trouvait ce prénom très joli d’ailleurs et unique pour quelqu’un vivant aux États-Unis. Elle comprit par la suite qu’ils avaient les mêmes origines, mais à l’étendre évoquer son père avec ce regard ailleurs, elle s’assura qu’il ne tenait pas son paternel dans son cœur. Une cicatrice qu’elle allait éviter d’ouvrir, elle hocha simplement la tête. «Mon père aussi.» Lilia s’était interposée sans qu’on le lui demande mais à l’entendre la remercier, elle ne regretta pas le coup de poings, même si elle commençait à ressentir une douleur émanant de ses phalanges et métacarpes. «Contente de t’avoir évité tout ça du coup.» Elle hocha négativement la tête. «Même pas ! J’ai dû passer trop de temps dans la bibliothèque, ça a sûrement dû éclater quelques neurones.» Fit-elle en rigolant.