Un soupir dépasse la barrière de mes lèvres alors que je sors victorieux du tribunal, cette affaire résultant d'un travail de longue haleine. Plusieurs paluches serrées plus tard, à commencer par mes clients heureux comme des papes, je profite d'une pause café de quelques minutes à peine avant mon prochain combat, la défense d'un enfant face à ses parents bourreaux. Un cas qui me touche particulièrement et pour lequel je me suis battu bec et ongle. Mon téléphone en main, je trie les mails par ordre d'importance avant d'écouter les quelque six messages vocaux qui n'attendent que moi. Un seul retient mon attention... et me fait tomber l'appareil des doigts. L'air hagard, incapable de reconnecter avec l'espace qui m'entoure, je ferme une seconde les yeux pour prendre conscience de ce qui m'arrive : Mia. Hôpital. Overdose... alors que j'avais prévu, ce soir, de fêter son anniversaire en grande pompe. Lily, annulez tous mes rendez-vous de la journée j'appelle le juge pour une suspension d'audience. Je ne serai pas joignable à partir de maintenant que je lance à ma secrétaire après avoir rassemblé les morceaux de mon cerveau tombés à terre en même temps que mon téléphone. Je file à ma moto en ôtant ma robe d'avocat sans perdre une minute, et ce dès l'obtention de l'ajournement du procès précédemment évoqué avec mon assistante. En très peu de temps, et non sans avoir brûlé une dizaine de feux et grillé mon capital vitesse, je déboule en sueur à l'accueil pour finalement hurler : on m'a appelé pour ma sœur, Mia Chatelain !. Je peine à reprendre mon souffle, la peur me tiraillant les entrailles. Fallait-il que je sois fort psychologiquement pour ne pas m'effondrer là, tout de suite, et ce avant même de l'avoir vue. On m'a appelé, vérifiez bordel ! C'est le doc heu... merde comment il s'appelle ?! Ma ! Voilà c'est ça ! Dites-lui que je suis là ou j'enfonce toutes les portes qu'il faudra que je déglingue pour la voir !!

Tendu telle la corde d'un arc, je ne redescends pas vraiment lorsque je sens une main agripper mon bras. Sans pouvoir le contrôler, mon corps sursaute également, incapable de garder un comportement calme et assuré. Je suis ce jeune homme parfaitement inconnu au bataillon jusqu'à une chaise, en rendant compte à quel point mon état me rapproche de la crise. Pour couronner le tout, ma pochette à insuline est soigneusement restée à mon bureau, dans mon sac fétiche que j'ai magistralement oublié dans la précipitation. Ah bon, on n'est pas à un concert de Led Zeppelin ?! que je lâche sans ménagement, la frayeur faisant danser les flammes dans mon regard sombre. Vous seriez zen vous à ma place ? Mine de rien, respectueux que je suis de ce genre d'endroit où l'on sauve des vies, ma voix est soudainement plus calme, plus grave. Mia est désormais ma seule famille... la perdre serait probablement la pire des punitions dans cette vie infernale. Impossible pour moi de ne pas rattraper la blouse blanche, mu par une volonté de constater les dégâts, et de me rassurer en même temps. J'écoute presque à moitié mon interlocuteur, tout mon être se fige en la voyant si frêle, si pâle et le visage portant un masque à oxygène. Tel un colosse aux pieds d'argile, une larme s'écrase contre ma joue déjà couverte de sueur. Bordel... que je prononce dans un français qui met une sorte de barrière entre le toubib et moi, sans que je ne puisse y faire grand chose. Ce n'est qu'après avoir essuyé toute trace de sentiment de ma peau que je me souviens des propos prononcés plus tôt. Soutien... vous pensez que je la laisse livrée à elle-même ? Un poil piquant, trop peut-être. Mes paupières se ferment un dixième de seconde afin de me redonner contenance et, surtout, me calmer. Elle est tombée dans l'héro à quatorze ans. Elle vient de sortir de sa quatrième cure... Mes explications tentent de trouver un chemin logique dans les méandres créés par cette situation pourrie. Merci... de lui être venu en aide que j'articule en même temps qu'un soupir échappe la barrière de mes lèvres. Je n'aurais pas dû aller bosser aujourd'hui. Je n'aurais pas dû nom de dieu de merde...

Face au terme de famille je sens tout mon être se tendre d'un coup d'un seul. Non... nous sommes juste tous les deux que je réponds d'une voix claire, sans trace de sentiment. Mon esprit pratique et brillant met de côté le frère éploré, celui qui s'inquiète, se ronge les sangs. Si l'intégralité de mes sens sont en alerte à cet instant précis, ma voix semble muette. J'écoute attentivement les propos de ce toubib que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam, et que je soupçonne de ne pas être spécialisé dans tout ce qui concerne les substances illicites. Il me le confirme presque en me parlant de spécialiste et d'addiction... J'entends ce que vous dites doc, mais je ne suis même pas certain qu'elle veuille en faire une nouvelle, de cure. A chaque fois elle espère, elle y met du sien, et ça finit par foirer. N'allez pas croire que je ne pense pas qu'elle puisse guérir... je garde l'espoir, même infime, qu'elle arrête de se bousiller avec ces saloperies. C'est plus elle, qui n'y croit plus. Dans le cas contraire, jamais elle n'aurait choisi le jour de ses vingt ans pour tenter un nouveau grand saut tout en sachant qu'au passage, la solitude qu'elle me laisse à gérer serait tout bonnement insupportable. Disons qu'elle a appris... quelque chose de révoltant mais pas par moi. Je n'ai pas eu le temps d'en discuter calmement avec Mia, elle a appris ça dans la presse... Si je parle bien entendu de l'assassinat de mes parents, je ne donne pas franchement de détails au premier inconnu venu, aussi doué soit-il. La confiance est une donnée extrêmement fragile et il n'est pas question une seconde la donner au premier venu. Fut-il toubib. Pas de sortir, non, elle a passé l'âge. Mais si j'étais pas allé bosser, j'aurais eu le temps de parler calmement avec elle. Je pensais le faire ce soir... mais on m'a devancé que je rétorque la voix faible et étranglée par un savant mélange de rage et de tristesse. Si j'entends son biper qui sonne, ce n'est que pour mieux le suivre et lui demander, franchement : vous êtes quoi comme doc, au juste ? Ne surtout pas y voir de la curiosité mal placée. J'aime simplement savoir à qui j'ai affaire.