Tous les jours, anniversaire ou pas, c'est la même rengaine dans cette famille. Le père de famille travaille comme un fou, il ne fait que ça tous les jours, la nuit et le jour. On se demande bien comme il fait pour être d'attaque chaque matin : un café, sa femme lui resserre sa cravate et il attrape son attaché-case avant de filer dans la jolie Mercedes -le dernier modèle, attention- accompagné de sa sublime montre qui vaut trop cher pour que tu puisses la regarder droit dans le cadran ; quand on se tape 60 heures par semaines, certains avantages sont visibles.
Certes, il n'est pas souvent à la maison - on se demande même s'il n'a pas une deuxième maison en Australie avec tous ces voyages d'affaires à Sydney. C'est même affolant : il rate tout ! Des premiers babillements de bébé à sa remise de diplôme. Encore heureux que le petit Brett ait une mère aimante et sachant contenir assez d'amour pour deux enfants. Elle est tellement géniale que c'est pour ça qu'il a toujours l'impression d'avoir une fête d'anniversaire acceptable. Certains trouve cela triste, d'autres en sont horriblement jaloux. Ça dépend de ce qu'on veut voir dans la petite vie que mène le fils, le petit bout de chou du PDG de cette fameuse multinationale dont on parle partout.
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Les mèches gorgées d'eau et de soleil rebondissent sur le front transpirant du petit prodige. Le ballon passe dans la main de l'un, puis de l'autre, puis sur lui qui fonce à toute vitesse à l'autre bout de terrain pour marquer le panier de la victoire. Que demander de plus ? Ah oui, un père qui s'intéresse un minimum au match ne serait pas de refus. Parce que les mères, elles papotent et ne retiennent que les coups de sifflets, les bleus et les plaquages trop violents : n'oubliez pas vos protège-dents mes chéris. Puis une voiture de sport coupée s'arrête près du terrain, tout le monde tourne la tête évidemment. Hermès, lui, souffle d'agacement : mais qu'est ce qu'il vient faire ici habillé comme un touriste ? De plus le match est terminé donc bon, c'était inutile d'utiliser de l'essence pour venir parader devant les potes.
« Où sont ta mère et ta sœur Aaron ? » le petit garçon montre les gradins du doigt et boit à goulûment à la bouteille
« Je vous ramène à la maison, hop hop dans la voiture ! » Depuis ce jour où son père est venu le récupérer à l'entraînement, pas mal de choses ont évoluées : il est plus disponible, invite ses collègues à la maison pour bosser sur place et surtout ... maman a plus de temps pour elle. Bizarrement, Brett ne voit pas cela d'un bon œil. Du haut de ses 11 piges, inscrit dans une école du secondaire dite "prestigieuse", il est pas con le p’tit mec. Parce que son père, il envoyait maman à l'autre bout du pays en cure Thalasso, et il invitait plein de collègues. Il y en avait une, elle revenait tous les jours. Ouais, c'était la seule de ses collègues femme qui revenait tous les jours. Bien vous vous doutez un peu de la nature des réunions entre le père et sa superbe collègue : ils sont sur une bonne affaire, c'est certain.
« Rose va rester ici le temps qu'on finisse le boulot, ça ne te dérange pas mon bichon ? Maman reviendra dans un peu moins d'une semaine. » Penché sur son bol de céréale, ça laisse une boule de miel dans le gosier comme annonce. En gros, il aurait pu balancer cash "foutez-vous de ma gueule, vous bosser au lit c'est ça ? Ou vous changez peut-être d'endroit ... je peux vous prêter ma chambre si vous voulez." il fit une grimace désapprobatrice et dévisagea la poupée décolorée que son père appelait "Une grande dame qui nous fera gagner du temps."
« Ça me dérange pas. » il passe à côté de la bonne femme et s'arrête en regardant le sol. Il fait un sourire mesquin et lance avec une pointe d'ironie dans sa voix enfantine.
« Faites pas de trop bruit ma chambre est juste au-dessus et ça me dérange vachement. » Boum. Malheureusement les deux grands dadets n'ont rien vu venir. Pour eux c'était qu'un pauvre gamin mais, les gamins ça comprend vite et puis, c'est pas toujours évident de se dire avoir une mère à l'autre bout du pays et que pendant ce temps, c'est cette collègue en or qui prend sa place, elle cuisine, elle pose ses chaussures sur le paillasson et disparaît jusqu'à ce que maman reparte. Il voulait pas briser le mariage, c'était juste qu'il aimait pas voir sa mère être aussi naïve et ne pas voir ce qui se tramait juste sous son nez.
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« Bordel, mais c’est serré ce truc ! » « Arrête un peu de tripoter ce col veux-tu ? » Elle lui retire vivement les mains de sa cravate avant de repartir, une toute autre expression angélique sur son visage, rejoindre les invités dans le salon. Ce qu’elle est douée sa mère quand même ; la reine de l’hypocrisie. Séparée depuis un bon bout de temps déjà, mais elle continue de feindre à merveille le couple solide et la famille unie avec une habileté déconcertante, une vraie comédienne.
« Et ne t’avises même pas de prendre ton portable pendant la soirée, tu m’as entendue ? » Entendue oui, écoutée pas vraiment. Comment elle arrive faire ça ? Lui aurait été seulement répugné, mais elle non. Elle ne doit penser qu’à sa petite image et la notoriété qu’elle a pu tirer du nom de son mari. Non mais je vous jure ! Brett avait vite baissé les bras et s’était rendu à l’évidence que toute cette mascarade, toute sa vie et famille n’était qu’une façade, une affiche montée de toute pièce histoire de se montrer et de plaire. Malheureusement pour le patriarche des Shepard, Brett n’était pas assez bon pour être vraiment sous les projecteurs lui aussi. Il lui ne fallait pas s’étonner qu’après ça il était devenu aigri, rabat-joie, et plus solitaire que jamais. Déçu que son petit génie de fils ne fasse pas plus d’effort pour briller autant que sa sœur.
« Tu l’as entendue Brett ? » Manquait plus que ça, le microbe number one vient de débarquer à son tour. Elle ne se privait pas pour récolter toute l’attention que l’on donnait généralement à la petite dernière de la famille, mais pas seulement. Même pas elle ne partageait la petite, préférant de loin s’accaparer volontairement ou non toutes les petites attentions.
« Même sur ton 31 tu laisses à désirer. » Non il n’est même pas capable de lui sortir quelque chose de gentil, mais elle a l’habitude. Bien que du haut de ses onze ans, la gamine qui a sauté une classe, ne lui a jamais rien fait en soit de méchant, il s’en voulait tout de même de se montrer aussi ingrat, mais c’est comme ça. Remontant discrètement une à une les marches des escaliers, quoique personne n’aurait su remarquer son absence de toute façon. Il regagna sa chambre, claqua la porte comme pour y déverser toute son aigreur dans le geste avant de se laisser lourdement retomber sur le lit, tête la première dans l’oreiller pour étouffer un long soupir d’exaspération. Il avait l’habitude et pourtant, sa carapace aussi solide soit-elle ne le protégeait pas toujours de ce manque d’il-ne-savait-quoi. D’une famille peut-être ? Mais non, il n’aurait su l’avouer, il est bien trop fier pour ça. Peu importe, il allait se changer les idées à sa manière. Pc allumé, manette de console de jeu à la main, il n’y avait rien de mieux pour oublier le reste. Au fil des années, Brett, c’était de plus en plus le mec solitaire, qui trace sa route tout seul, quelque peu égoïste au point d’en oublier parfois ses proches...
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« et … » « et … elle m’a dit que j’étais un raté. » « C’est tout ? » « Elle m’a dit que j’étais un raté et qu’elle ne sait pas ce qui lui a pris de sortir avec moi. Quelque chose dans le style, j’ai pas retenu les détails. » Concentré sur sa partie, les petits bémols de son ancienne relation avec sa désormais ex-copine ne le chagrinaient pas plus que ça, au grand désarroi de son cousin préféré. Oui, il doit probablement se demander quel taré d’esprit occupait le corps de Brett pour paraître si insensible à ça, mais il le connait assez bien pour savoir qu’il ne prenait que peu de chose au sérieux, du moins surtout pas les relations amoureuses. Après une ou deux manip bien placées, une masse moelleuse mais violente le tire de sa bulle.
« Bordel ! C’est quoi ton problème ? » Il lève les deux mains tenant toujours fermement la manette de la console entre ses doigts, l’air sévère sur le visage et pourtant il savait que cela ne lui ferait ni chaud ni froid. Le temps qu’il observe de nouveau le téléviseur, l’écran affiche sa partie perdue. Il laisse retomber ses bras le long de son corps soupirant longuement, passant une main au passage sur son visage comme pour reprendre ses esprits après une longue séance de cinéma, acceptant au final la conversation puisqu’il n’avait plus de raison de ne pas l’écouter. Il sait très bien ce qu’il veut entendre de lui, seulement les Feux de l’amour, ce n’était pas son truc au jeune Shepard. Bien sûr qu’il aimerait bien trouver le grand amour, seulement il faut que tout lui tombe dessus comme par magie, dans un plateau d’argent. Et bon, à quinze piges, ce n’était pas sa plus grande préoccupation, il a encore beaucoup d’année devant lui… et à vingt-deux ? on commence vraiment à chercher ? Non toujours pas. Il préfère largement en foutre plein la vue à son père pour lui clouer une bonne fois pour toute sa grande bouche et le faire descendre de son piédestal. C'est que ça lui foutrait bien les boules à son paternel de voir que son fiston gagnent plus que lui, alors il va être servi ! Rancunier vous avez dit ? Vous n'imaginez pas à quel point. C'était ça son grand projet. Et il ne laisserait rien entraver sa route.