Stuck in reverse

Si Skylar ne digère pas vraiment la remarque de son meilleur ami sur les tromperies de son mari, elle a aussi conscience qu’elle exagère. Certains jours, il peut se le permettre sans qu’elle ne s’offusque et d’autres, elle prend la mouche et ne lui répond plus pendant des heures… ou jours. Voire semaines. Mais Kristofer Vermeer reste l’une des personnes qu’elle aime le plus sur cette planète, au point qu’elle soit capable de prendre sur elle pour faire taire ses rancœurs et simplement lui proposer de se retrouver, comme si de rien n’était. Il faut aussi dire que ce n’est pas du genre de Kitt de rester silencieux plusieurs jours et qu’elle ne peut s’empêcher de se demander si tout va bien. Alors, avant de s’envoler vers un autre continent, elle préfère prendre le temps de voir son meilleur ami et de discuter avec lui, même si elle se fait peut-être du mouron pour rien. “Excusez-moi, Monsieur. Je peux avoir un selfie et un autographe ?” le charie-t-elle, profitant du fait qu’il soit installé de dos quand elle arrive. Skylar attend qu’il se lève et l’enlace quelques secondes avant de déposer un baiser sur sa joue. “Comment va la star de Boston ?” dit-elle en s’asseyant, et faisant immédiatement signe au serveur de leur apporter un menu. “C’est moi qui offre. Enfin, George aussi.” précise-t-elle avant qu’il ne panique en voyant les prix sur le menu. La jeune femme a volontairement choisi un endroit fancy pour célébrer dignement leur dernier brunch avant les vacances.

Il se sentait plus bas que terre. Tant physiquement que moralement. Il faut dire qu’il n’y avait pas été de main morte la veille. Alors que son ancien petit ami avait soufflé le chaud et le froid quelques jours auparavant, il avait enchaîné les conquêtes d’un soir et les soirées un peu trop arrosées. Raison pour laquelle il se trouvait présentement attablé avec une absence totale de distinction à attendre l’une des rares qui illuminait son existence malgré les lunettes de soleil parfaitement inutiles. Cela faisait également un moment qu’ils ne s’étaient parlés ou vus. Il avait parfois l’impression de se trouver au centre d’une tornade. Si tout semblait normal pour lui au sein de l'œil de cette dernière, il avait la fâcheuse manie de rejeter tous ceux qui tentaient de l’approcher et de refuser l’accès à quiconque. Pas étonnant à partir de là qu’il soit si difficile d’approcher son cœur qu’il voulait de pierre. Il commença à grommeler lorsqu’une fan vint réclamer un autographe et un selfie. Ces américains n’avaient donc aucune politesse pour aborder les célébrités ainsi sans se préoccuper de savoir s’ils les dérangeaient ou les empêchaient de profiter de leur vie privée tout simplement. Ou en l’occurrence de sa sieste. Il avait besoin d’une aspirine ou deux. Il se tourna vers la demoiselle, les sourcils légèrement froncés et un air ennuyé avant de pousser un soupir de soulagement. “Hello Darling.” l’accueillit-il en l’enlaçant et en prenant un peu de sa force avec lui tout en respirant son délicat parfum plus agréable que celui qui lui restait en nez malgré la bonne douche glacée qu’il avait pris. “Elle va comme elle peut. Tu ne trouves pas que la Terre tourne un peu plus vite que d’habitude ce matin ?” répondit-il en s’asseyant face à elle. Un ricanement s’échappa de ses lèvres lorsqu’elle l’invita et saisissant le menu, il jeta un furtif coup d'œil vers ce dernier, sachant cependant déjà ce qu’il prendrait. “Si c’est George alors.” Il retira ses lunettes de soleil par politesse, clignant des yeux face à la clarté des lieux, et s’adressa au serveur : “Deux mimosa et le brunch norvégien, s’il vous plaît.” Puis il se tourna vers celle qu’il considérait comme l’une de ses meilleures amies, la sœur qu’il aurait foncièrement préféré avoir. “Et toi, ma chérie ?” Une fois que le serveur se fut éloigné, sans que Kitt ne profite d’un léger coup d'œil pour estimer son fessier, il se pencha vers Skye, posant sa lourde tête contre son crâne. “Je me suis pris une cuite hier, je ne te raconte pas.” Il se saisit de la main de la jeune femme avant de l’embrasser délicatement et de la reposer sur la table. “Mais toi ? Comment tu vas ? Prête pour le retour au pays ?”

Skye fronce légèrement les sourcils lorsqu’elle voit l’air ennuyé de Kitt. Elle ne le prend pas personnellement mais n’est-il pas sensé être heureux d’avoir des fans qui le reconnaissent - ou du moins faire semblant, s’il souhaite que sa carrière décolle ? Elle s’apprête d’ailleurs à le lui faire remarquer quand elle entend sa réponse. Il est donc en pleine gueule de bois, et elle ne va pas tenter de l’agacer dans ces circonstances. L’acteur semble de relative bonne composition et vu ce qu’il traverse en ce moment, l’anglaise a conscience que c’est déjà pas mal. Elle se contente alors de déposer un baiser sur sa joue avant de s’asseoir en face de lui. “Tu sais que manger, ce n’est pas vraiment triché, pas vrai ? C’est même plutôt l’inverse.” Faisant référence à la phrase que les adolescents se répètent lors des premières cuites… avant que la sagesse de l’âge leur fasse prendre conscience que c’est aussi agréable de pouvoir profiter de la soirée ET de la journée du lendemain. “Pas vraiment mais j’ai dormi du sommeil du prince et je n’ai bu que de l’eau hier alors… je ne suis pas objective.” Une fois n’est pas coutume, Skylar étant généralement de sortie (comme tous les étudiants, malgré son âge) les samedis soirs. “Tu peux remettre tes lunettes, je te pardonne pour cette fois.” lui dit-elle, en lui faisant un clin d’oeil. “Un jus d’orange pour moi, et un avocado toast avec du muesli dans un yaourt grec.” Skylar aurait sans doute aussi envie d’un oeuf benedict et de saucisses avec des beans, mais elle sait pertinemment que si elle veut garder sa ligne, il lui faut compter ses excès sur les doigts d’une main. Elle décide d’être raisonnable ce midi, étant d’assez bonne humeur pour le faire et réserve ses débordements à de grandes occasions - ou de grandes déprimes. “J’ai conscience que je te le dis à chaque fois mais du jus d’orange dans du champagne, c’est un gâchis sans nom.” Une honte, même. “Et ça ne va absolument pas aider ton mal de crâne.” Un jus de légumes aurait sans doute été plus efficace. “Bah si justement… Elle était comment cette soirée ?” reprend-elle d’un air enjoué quand il aborde rapidement sa soirée. “Oui, j’ai hâte. J’ai pas mal eu le mal du pays ces derniers temps, et j’ai moins pu rentrer que d’habitude alors ça va faire du bien. Peut-être que ça me permettra aussi d’y voir plus clair dans ma vie, ce qui ne me fera pas de mal.” Mais cela fait des années qu’elle est paumée maintenant, alors Skye ne se fait pas trop d’illusions à ce sujet.

Il avait l’impression que ça continuait de tambouriner dans sa tête, de se retrouver dans des sables mouvants qui se dérobaient sous ses pieds et que tout était bien trop éclatant et lumineux autour de lui. C’était d’ailleurs le cas dès lors qu’il était en présence de sa douce amie, cette dernière irradiant de classe et de perfection comme à chaque fois tandis qu’il avait l’impression de sentir encore le tabac et la vodka de la veille. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres tandis qu’il redressait un sourcil, ne pouvant s’empêcher de détourner ses propos. “Oh crois moi que j’ai mangé. Mais nutritivement, ce n’était pas l’extase.” Il avait joui et fait jouir mais contrairement à ce que certaines prêtresses de la new way of life sous le soleil californien ou les vampires, tous les fluides corporels ne se valaient pas et aucun d’entre eux ne pouvait aider à la gueule de bois. Ils aidaient plutôt pas mal aux peines de coeur comme en l’espèce ceci dit. Il poussa un petit soupir admiratif et un brin moqueur. “Madame Skylar Cavendish qui fait une nuit complète et boit de l’eau ? Qui êtes-vous ? Qu’avez vous fait de mon amie ?” avant de se lancer dans une parfaite imitation de Liam Neeson en lui prenant la main : “Je ne sais pas qui vous êtes. Je ne sais pas ce que vous voulez. Si c’est une rançon que vous espérez, dites-vous bien que je n’ai pas d’argent, par contre ce que j’ai, c’est des compétences particulières, que j’ai acquises au cours d’une longue carrière. Des compétences qui font de moi un véritable cauchemar pour vous. Si vous relâchez mon amie maintenant, ça s’arrêtera là. Si vous ne la relâchez pas, je vous chercherai, je vous trouverai et je vous tuerai.” Il déposa un baiser au creux de sa paume avant de laisser le serveur repartir, une goutte de sueur froide glissant le long de sa tempe.

“Sans doute mais que veux-tu, il faut soigner le mal par le mal.” Et s’il pouvait rester ivre durant des jours et des jours, il ne s’y opposerait pas. Au moins, lorsque sa tête était embrumée des vapeurs d’alcool, il ne pensait pas à un certain joli brun qui dictait un peu trop ses pensées. Il ne pensait pas tout court d’ailleurs. “Coquine.” plaisanta-t-il alors que les verres leur étaient d’ores et déjà apportés dans l’attente de quelque chose de plus consistant. “On peut s’amuser autant qu’à LA finalement. Il faut juste connaître les bonnes adresses et les bonnes personnes.” Il se rapprocha d’un air conspirateur. “Crois moi, tu ne veux pas vraiment connaître les détails. Mais, pour information, le professeur de tennis du country club local semble apprécier les coups de raquette sur autre chose qu’une balle.” Compte tenu de la quantité d’alcool qui demeurait dans son organisme et des souvenirs flous de la nuit précédente, il ne savait pas comment il avait fini par atterrir dans une soirée libertine frôlant le BDSM mais dans tous les cas, il s’était réveillé dans des draps de soie rouge avec une jolie rousse à sa droite, une jolie blonde à sa gauche et les jappements de plaisir de ce professeur passé élève d’une maîtresse à l’air sévère durant quelques heures.

Redevant plus sérieux, il observa avec grande attention son amie et constata que son beau regard habituellement si clair semblait se couvrir de nuages. Il n’aimait pas la voir comme ça. Elle méritait d’être heureuse bien plus que quiconque qu’il avait rencontré et il serait damné si personne ne la faisait sourire comme elle le méritait. “George ?” demanda-t-il. “Ou, comment il s’appelle ? Gaston ?”