CHIYOKO MATSUI ► Mika Schneider

La vie d’avant

Mère : inconnue. Une simple mention, sur l’acte de naissance. Un arrangement entre deux individus qui ont partagé une nuit : une femme, qui ne voulait pas d’enfant, qui touche chaque mois une rente contre son silence et un homme, dont la réputation serait bafouée si on apprenait qu’il avait eu un enfant d’un adultère. Officiellement, enfant adoptée. Officieusement, première enfant, de quelques mois, celle qui n’aurait pas dû vivre dans l’ombre de sa fratrie, prendre des chemins parallèles. Et pourtant, elle s’accroche, elle n’a rien à envier aux autres avec son parcours spectaculaire : internat d’élite en suisse, baccalauréat à 17 ans, fac de médecine, l’externat, le concours d’internat, dont elle survole le classement : tous les choix s’offrent à présent à elle. Pourtant, jamais Hélène n’a l’impression d’avoir choisi la bonne voie, ce qu’elle fait lui plaît, elle aime ce contact avec ses patients, chercher ce qui cloche, le meilleur traitement, mais ça ne la fait pas vibrer comme elle le pensait. En même temps, il s’agit d’un choix établis par défaut, parce qu’on lui a fait comprendre qu’elle n’avait pas sa place dans les affaires familiales, dans la joaillerie. Elle envie ses frères et sœurs, qui, eux, peuvent prendre la main de l’entreprise, faire résonner leur nom dans le monde entier, toucher ces matières de luxe et voir leurs dessins prendre forme. Les comptes en banque pleins pour acheter la tranquillité, ceux qu’elle appelle papa et maman font tout pour la tenir éloignée des yeux du monde : jamais conviée aux événements officiels, toujours cachée aux yeux du monde. Seuls quelques proches connaissent son existence et sont priés de se taire.

La vie d’après
Comptes vidés, billets d’avion achetés. Au départ ? Un simple voyage avec des amis, en Égypte. Mais il s’agit de mensonges, Hélène a tout prévu : de faux papiers, son inscription à Harvard, qu’elle prépare depuis des mois, en journalisme, chambre réservée sur le campus. Une nouvelle vie, sous un nouveau nom, une identité d’emprunt, pour laquelle elle a versé une fortune, pour que tout concorde. Plus française, mais japonaise, la seconde moitié de ses origines, quelques années de moins, mais toujours son air doux et docile, qui cachent bien ses penchants pour l’aventure, l’adrénaline. Elle sait qu’elle prend de gros risques, mais elle ne peut pas continuer à vivre dans l’ombre d’un nom, pour satisfaire son entourage. Elle veut aussi la gloire, qu'on la reconnaisse pour son talent, qu'on ne pense pas que si elle a réussi à se faire une place, c'est uniquement grâce à sa famille.