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#rplibre
TW: grosse déprime
TW: grosse déprime
Des coups dans un sac de sable.
Des coups rythmés, répétés, qui ne semblent pas devoir s'arrêter.
La vie, personne ne l'écoute.
Pourtant elle plaide non coupable, mais le jury a des doutes.
Des coups stressés, violents, tout sauf lents, pressés comme les pas d'un gosse insolent.
Ce soir le docteur Rainer a un chagrin de coeur et il ne savait même pas qu'il en avait un, et il l'a vu exploser dans ses mains, et maintenant il serre les miettes dans ses poings, et il tape. Pas d'autre voie à suivre. Pas d'autre vie à vivre. L'autre vie a disparu et il se sent idiot d'y avoir cru, et il tape. Pas d'autre air à chanter, pas d'autre oiseau à écouter. Le parc est silencieux comme s'il savait ce qui ne va pas, comme s'il avait déjà vu ce combat, le parc est ambitieux de pousser là où errent ce genre de cas, ses troncs sont lacérés de noms, taillés au canif, de coeurs, poignardés dès le départ, brisés après leur départ, le parc continue à pousser, à tendre ses branches vers le ciel, mais ses bras ne deviendront jamais des ailes.
Et il y aurait une chanson à écrire mais les arbres seraient fichus d'en rire, et il tape, il marque le rythme comme un sourd. Ce ne serait jamais une chanson d'amour. Est-ce qu'il y a des chansons de haine ? Si oui, c'est ce qu'il tape, un rythme de guerre, un rythme d'attaque, une armée qui marche sur une longue route de pierre, si longue qu'on a les pieds en sang. Il n'a pas de pieds, lui. Mais ses poings éclatent contre le cuir du sac, il tape à faire peur aux passants.
Il n'est pas un jeune premier, lui. Mais ses poings la chantent, cette chanson qui n'existera pas, ses poings la remontent, cette route qui cogne sous ses pas. Il a toujours écrit des chansons d'amour quand c'était au nom de son frère, qui est un dieu du printemps. Des chansons de colère, quand il écrivait seul, pour un amour absent. Personne ne devait les lire, celles-là.
Et puis, le voleur est passé -
Mark cesse de frapper.
Epuisé, le souffle court, il se laisse tomber à la renverse, dans le sable. Comme s'il venait de faire l'amour. Il regarde le ciel, noirci par la pollution lumineuse de Boston, rayé de branches qui ont l'air de squelettes difformes dans la lueur pâle des éclairages publics, il savoure l'amère douleur de ses mains qui s'ouvrent, et qui ne seront jamais des ailes. Le voleur a emporté tellement de choses, pour quelqu'un qui s'en va les mains vides.
Il a emporté l'histoire de l'Everest. Il a emporté les derniers titres écrits par Mark, Blink and you'll miss me, Blackfire, toutes ces chansons qui n'auraient jamais dû tomber sous des yeux humains. Ils ont parlé de leur sens, le truc du magicien qu'un parolier ne révèle pas volontiers. De famille, de colère, d'art, ils se sont tellement bien compris. Pendant quelques minutes, Mark a oublié... il a fait ce qu'il conseille à tous ses patients, c'est tellement facile quand on le dit à un autre : il a oublié à quoi il ressemblait, il s'est juste rappelé de quoi il était capable. Et le voleur avait l'air de trouver ça fantastique. Le voleur avait l'air d'avoir trouvé un trésor. Mark a oublié que ça ne pouvait pas être lui, qu'il était juste une curiosité, un objet de collection, qu'on se procure pour étonner la galerie, et qu'on oublie sur une étagère... et c'est exactement ce qui est arrivé.
"Faire de vous une star", tu parles.
"Le numéro que vous avez composé n'est pas attribué."
Lui qu'on trouve si intelligent, il s'est senti stupide.
Lui qu'on trouve si fort, il s'est brisé, et les éclats blessent toujours le creux de ses poings, là où la veine bat, un coup de poignard, à chaque battement de coeur, il y a cru, il y a vraiment cru, comment il a pu croire à ça ?
Et ce soir, Mark a embarqué son sac de sable, et il est parti au parc, sous l'oeil inquiet de la lune, parce qu'il avait vraiment besoin de se défouler.
(Invité)