BASILE ALEXANDER WRIGHT ► ben barnes

Tu es une page blanche, un espace vide de sens qui n'atteint que le frottement d'une plume noircie d'encre pour lentement te déchiqueter, broyer ton innocence jusqu'à que tes os soient imprégnés d'encre de chine. Ton enfance à Dublin n'a été qu'une suite de déceptions, de troubles, de crises. Tu as toujours été seul. Personne ne te comprenait et personne ne t'a jamais compris. Ton père est ambassadeur. Il a donné sa vie pour les autres, mais jamais pour toi. Ta mère est mannequin et a toujours vécu pour elle-même. Pas de frères, pas de sœurs. Pas le temps, pas le courage. Tu as eu une petite sœur, pendant quelques heures. Son cœur a lâché, trop de malformations. Tes parents ne s'en sont jamais remis. Ils ont toujours voulu une petite fille pour te remplacer. Remplacer leur premier enfant malade pour un enfant en bonne santé. Mais elle n'a pas tenu le choc non plus. Son corps était déglingué, toi c'est ton esprit qui est déglingué. A tes cinq ans, on t'a décelé un trouble bipolaire. En somme, tu oscilles constamment entre la dépression et une excitation incontrôlable. Tu fais l'expérience du plus grand bonheur et du plus grand malheur dans le même temps, pris entre l'envie de te suicider et de courir dans un champ de fleurs. Tu connais certes plus de phases de stabilités que la moyenne, mais lorsque tu fais une crise, elles sont pires. Tu as le sentiment que tout va s'arrêter d'un seul coup. Les autres enfants ont toujours eu peur de toi. Un garçon ne pleure pas. Toi, tu pleurais beaucoup trop. Juste en face de ta chambre se trouve celle de ta petite sœur, que tes parents n'ont jamais voulu démonter. La tienne est vide, froide, laide. La sienne est lumineuse, décorée, brillante, parfaite. Tes parents t'envoyaient chez le psychiatre plusieurs fois par semaine, souvent le soir, pour ne pas avoir à te supporter lorsque tu rentrais des cours. La vision de leur enfant détraqué leur faisait miroiter leur ultime défaite. Celle de n'avoir pas pu fonder un foyer heureux, un foyer normal. Tu n'es jamais allé aux réunions mondaines, ils avaient trop honte de toi, trop peur que d'un seul coup, tu fasses une crise plus puissante que les autres et que tu les humilies devant tout le monde. Leurs amis riches comptent plus que toi et tu l'as toujours su. Tu as évolué dans ce milieu où personne ne faisait attention à toi et pourtant tu continuais à te gaver de livres et de films où les gens seuls finissent par trouver l'amour, ou au moins un ami. Quelqu'un qui les écoute. Pas de contes de fées pour toi, même plus tard, les filles que tu ramenais dans ton lit ne prêtaient pas attention à toi. T'es juste un beau gosse pour elle, ta conversation, dieu sait qu'elles s'en fichent pas mal. Mais un jour, la plus merveilleuse nouvelle possible t'as été révélée. Ton père est mort. Assassiné dans un attentat. Ta mère a beaucoup pleuré et tous ses amis riches sont venus à ses funérailles. Mais toi, tu étais heureux. Tu n'avais pas de crise d'euphorie, pourtant sa mort représentait un soulagement. Cet homme était un étranger, il te détestait. Tu ne l'as jamais considéré comme ton père. Tu te plaisais d'ailleurs à l'appeler par son prénom. Jamais tu n'as voulu de proximité avec cet être humain dont chaque regard porté sur toi trahissait son mépris, sa déception face à l'enfant prodige qu'il aurait toujours voulu avoir. Toute son attention se reportait sur les petits enfants pauvres qu'il aidait chaque jour. Il expliquait aux journaux qu'il les considérait comme ses propres enfants. Tout le monde l'aimait. Sauf toi. Il n'a jamais pu aimer son enfant comme son propre enfant. Il préférait les petits lépreux au petit bipolaire. Les années passent, et tu restes seul. Tu enchaînes les fêtes au lycée. Personne ne te connait, personne ne t'y invite, mais ton physique te permet de rentrer où tu le souhaites. les gens te voient, te draguent, sans jamais savoir ton prénom, sans jamais savoir qui tu es. Pendant ces fêtes, tu découvres ton attirance prononcée pour les hommes. Tu le révèles à ta mère, qui explose de rage. Elle te hurle que tu n'es qu'un déviant, que tu n'as rien compris à l'éducation chrétienne qu'elle s'est tuée à t'inculquer. Tu lui rétorque en hurlant toujours plus fort qu'elle oublie bien vite sa chrétienté lorsqu'elle expose son cul sur les podiums et lorsqu'elle couche avec des créateurs. Elle te donne une gifle monumentale, qui te fait tomber à terre. Elle t'écrase alors la cage thoracique avec son talon. Ce soir là, elle te brisera deux côtes. Depuis tu n'as plus qu'une seule idée en tête : t'enfuir. L’Irlande t'étouffe beaucoup trop. Tu décides alors, sans y croire, de passer le concours d'Harvard. A ta plus grande surprise, tu as été accepté. Pour la première fois de ta vie, tu as été accepté quelque part. Tu étudies l'astrophysique. Si ce monde ne te désire pas, tu as décidé de te tourner vers un autre monde, sans doute plus clément, celui des étoiles. Les planètes ne jugent pas, elles ne font qu'exister. Comme toi.