S'encanailler (libre)

A v r i l     2 0 2 2

Adossé à la caisse de son pick-up sur un parking des zones plates qui jouxtent l'eau, Joshua dégustait un sandwich pastrami en buvant une Bud. Ses yeux étaient perdus dans la lumière fumeuse de la ville, des grands projecteurs, des grands lampadaires et des grandes devantures qui travestissent le ciel des grandes villes. Il y avait la marina qui s'agitait, les premiers groupes d'amis qui se dirigeaient vers les bars à pieds, parfois en chantant déjà car en cette fin de semaine la fête avait commencé tôt. La mine du militaire était assez sombre. Conforme à son état d'esprit depuis son retour. Obnubilé par les mêmes choses, il regardait des amis étrangers sur une ligne de front depuis l'invasion de leur pays, le tout avec une sorte de rage sèche au fond de la gorge, la colère de vivre dans un pays tiède. Une gorgée de bière le fit penser à autre chose, à ces voiliers de plaisance qui se reposaient paisiblement à la surface de cette eau calme. Peut-être que la clé résidait là, dans la facilité de laisser couler les choses, d'appréhender avec philosophie, sobriété. Ou alors l'épicurisme, l'hédonisme même, retentissant des premiers cris enivrés des terrasses de bars.

Une dernière bouchée pour tout avaler en s'essuyant les mains sur la serviette en papier fournie avec le sandwich. Pour sa dernière gorgée de bière, Josh descendit tout d'un coup, et en ancien quarterback de West Point, il recula pour simuler un snap, tendit et relâcha son bras en propulsant la bouteille pile dans une poubelle. Le QB fêta ça tout seul en levant les bras sobrement, comme s'il était intimidé par cette foule imaginaire. Le vent doux de cette saison soulevait légèrement sa chemise ouverte par dessus son t-shirt blanc, remuait son chino, caressait son visage. C'était son seul compagnon avec son poste radio qui passait un jeune artiste ukrainien. Il en avait marre de tirer cette gueule depuis son retour. Son frère était sauvé, sa vie retrouvée, un diplôme de docteur de Harvard lui tendait les bras, et pourtant toujours dans âme résonnait une sorte de morne glas. Il était temps de s'en départir, au moins quelques heures. Les bandes, les attroupements se faisaient et se joignaient, se séparaient et se reformaient non loin, sur les trottoirs, au seuil des bars. Joshua regardait ça avec envie. Pour une fois, au lieu de se renfermer et de retourner chez lui s'enfermer dans la lecture et sa thèse, Joshua repoussa un long souffle avant de s'élancer vers le brouhaha. Ce soir, le bruit ne l'effraierait pas. Il était décidé à s'amuser quitte à s'encanailler.