EVELYN JUNE CAMPBELL ► julia stegner

dix sept avril deux mille treize
Les bras chargés de paquets, Evelyn atteignit enfin le hall d'entrée de son immeuble. Des perles de sueurs se frayaient un chemin le long de sa colonne vertébrale tandis qu'elle fouillait son sac à main à la recherche de la clé de son appartement. Ce n'est pas sans mal qu'elle la trouva et l'enfourna dans la serrure avant de se hisser dans l'appartement et d'y déposer tous ses achats. Elle déboutonna à la hâte sa veste et l’abandonna sur une chaise avant de se glisser entre les meubles pour atteindre le frigo et se verser un grand verre d’eau minérale qu’elle s’imaginait boire d’une traite depuis déjà de longues dizaines de minutes. Mais c’est sans compter la mélodie du téléphone qui la surprit dans sa lancée. Elle se précipita alors jusqu’à celui-ci afin de décrocher avant que son interlocuteur impatient ne raccroche. Elle passait, ces derniers temps, sa vie à cela, courir dans cet appartement pourtant étroit. Elle avait hésité entre celui-ci et un bien plus grand, mais se remerciait chaque jour intérieurement de ne pas s’être infligé plus de sport quotidien en courant entre le téléphone et les couches, entre son ordinateur et la chambre de sa fille et depuis peu, derrière sa petite puce qui venait d’apprendre à marcher.
« Allo ? » Dit-elle en décrochant, priant pour que ce ne soit pas encore l’une de ces enquêtes par téléphone qui prenait un temps fou. Elle avait bien trop à faire. Mais elle fut rassurée un court instant, il s’agissait de la voix de sa mère à l’autre bout du téléphone. « Ma chérie tu sais combien je t’aime et j’aime ta fille, mais j’ai un ami qui… » Evelyn n’avait pas besoin d’entendre la suite, elle la connaissait par cœur. Sa mère avait sans doute passé la sieste de Molly à surfer sur des sites de rencontre et elle s’était dégotée un rendez-vous dans l’après-midi. C’était devenu quotidien depuis quelques mois et Evelyn avait un certain mal à voir sa mère redevenir une adolescente quand elle-même ne pouvait pas l’être malgré son jeune âge. « Très bien maman, dépose la moi, je vais m’occuper d’elle-même si je dois organiser la fête de son anniversaire, je sens que ce sera drôle de gonfler des ballons et de préparer un gâteau tout en courant derrière elle. » L’ironie dans son ton ne découragea pas sa mère qui lui raccrocha au nez. Pensant que le réseau avait faibli, Evelyn composa le numéro de sa mère mais n’eut pas le temps d’appeler que l’interphone sonnait déjà. Soupirant de lassitude elle comprit que sa mère attendait très certainement son retour depuis un bout de temps dans le petit café du coin de sa rue.
Lorsqu’elle ouvrit la porte d’entrée et aperçu Molly, son cœur se serra comme à chaque retrouvailles. Molly était pour Evelyn, son univers, la prunelle de ses yeux, sa merveille, sa fille, son unique trésor et rien n’était jamais trop beau pour elle. Elle enlaça la petite brunette aux yeux bleus et la fit décoller du sol pour la serrer contre elle. La petite fille s’agrippa au cou de sa mère et Evelyn se sentit submerger d’amour et de bonheur. Depuis la naissance de Molly, il y avait entre elles ce lien invisible, impossible à décrire. Elles avaient besoin l’une de l’autre, c’était nécessaire, vital qu’elles soient blottie l’une contre l’autre, plusieurs fois par jour et par nuit. Comme pour reprendre des forces, comme pour s’apaiser. Certes, être mère célibataire n’avait pas toujours été simple pour Evelyn, elle aurait aimé offrir à sa petite-fille la présence d’un homme protecteur, d’un père aimant mais les choses s’étaient passées autrement et finalement, elle ne regrettait pas son choix. La petite Molly respirait le bonheur et la joie de vivre et c’était finalement suffisant pour Evelyn. Evelyn qui releva les yeux vers sa mère, observant son air faussement désolé et se mit finalement à lui sourire. Malgré les frasques de cette dernière, elle était la seule famille qui lui restait. Sa mère et sa fille, c’était tout ce qu’elle avait, et pour rien au monde elle n’aurait eu envie d’en vouloir à l’une ou à l’autre. Les deux étaient si importantes dans sa vie. Molly se détacha de sa mère et retrouva la terre ferme avant de se ruer dans le salon pour choisir parmi ses jouets favoris un qui ferait énormément de bruit. Evelyn la suivit du regard et finalement invita sa mère à entrer. « Elle n’a plus de fièvre ? Tu as vérifié ? » Demanda la jeune maman inquiète. « Ne t’en fais pas, je t’avais dit que si elle en avait je l’emmènerai de ce pas au médecin, puisque nous n’avons pas de poche de médicaments, alors elle n’a pas de fièvre… Au fait Evy, pour son anniversaire, je me disais que je pourrais peut être venir avec… » Evelyn fusilla sa mère du regard à l’idée qu’elle prononce la suite de sa phrase. Molly depuis sa naissance avait dû déjà être confrontée à une bonne vingtaine de grand père de substitution et aucun n’était resté plus d’une semaine. Evelyn préférait éviter cela, d’autant plus devant elle, que sa mère ne puisse s’en empêcher lorsqu’elle gardait la petite pendant qu’elle allait en cours l’énervait déjà assez alors qu’elle le fasse chez elle, pour les un an de sa fille, c’était sans doute un peu trop pour elle. « Très bien très bien ! Je file alors ! J’ai un rendez-vous. » Le parfum de Maddy chatouilla le nez de sa fille lorsqu’elle lui déposa un baiser aimant sur la joue mais cette odeur bien que trop épicée avait cependant quelque chose de réconfortant dans le fond… C’était celle de sa mère tout simplement.


dix huit avril deux mille treize
Evelyn déposa un tendre baiser sur la joue de Molly et celle-ci ne lutta pas un instant contre le sommeil, elle se retourna dans son berceau et les bras de Morphée l’accueillirent rapidement. Evelyn resta quelques instants à regarder sa fille dormir paisiblement puis s’échappa sur la pointe des pieds de la chambre de petite fille qu’elle avait décorée avec soin, à son arrivée en août dernier, lorsqu'elle s'était installée à Harvard pour redémarrer une nouvelle vie après tant d'échecs new yorkais. Elle traîna les pieds jusque dans sa chambre et se laissa tomber sur la petite chaise en bois de son bureau. Elle hésita un instant, ses cours avaient bien besoin d’être relus, les examens n’étant pas si loin, elle ne devait nullement faire l’impasse là-dessus, mais pourtant, c’est l’album de sa petite princesse qu’elle ouvrit sur la table. Elle devait y rajouter les photos de la fête de son anniversaire, prises l’après-midi même et déjà imprimées. Elle s’empara d’un bâton de colle et tourna les pages. Une photo s’envola pour se retrouver au sol et Evelyn se pencha pour la rattraper au vol. C’était la seule photo qu’elle n’avait pas collée, se mordillant à chaque fois la lèvre lorsqu’elle se demandait si c’était une meilleure idée de l’y accrochée ou de la brûlée. Sur celle-ci, un jeune homme aux fossettes séduisantes et aux yeux d’une profondeur sans égale. Il était allongé sur un lit, et faisait une mine boudeur, c’était la seule photo qu’Evelyn avait prise de lui, lors de leur courte idylle. Une aventure sans importance pour lui, qui avait cependant changé le cours de sa vie à elle. C’est dans une soirée que leur regard s’était croisé et Evelyn avait immédiatement été sous le charme de ce jeune homme au sourire triste et pourtant si dévastateur. Leur liaison n’avait été le compte que de quelques jours, qui n’avaient dans la vie de celui sans doute jamais eut d’importance, pourtant, quelques mois plus tard, Molly avait vu le jour. Cet homme avait-il seulement conscience dans le fond de son inconscient qu’un enfant été né de cette histoire sans lendemain ? Evelyn se disait parfois que les choses étaient mieux ainsi, que si le destin leur avait fait à chacun emprunter un chemin différent c’est qu’il y avait à cela une bonne raison, cependant que dirait elle à sa fille lorsque celle-ci serait en âge de poser des questions ? Serait elle suffisante pour la rendre heureuse ? Ces questions ne cessaient de s'imposer dans son esprit... Afin de les chasser, elle cacha la photo et s'attela à sa tâche, continuer l'album de la prunelle de ses yeux...