Je vais vous conter mon histoire à partir du moment où je me suis réellement mise à exister. Car oui, avant, je n'existais pas. Je n'étais qu'une fille, née prématurément dans un hôpital de la ville de Phoenix, en Arizona, lieu qui a vu sa mère mourir lors de l'accouchement, et est donc devenue orpheline sachant que son père était déjà mort de la grippe aviaire. A la suite de ce malheureux évènement, elle a été soignée à l'hôpital quelques mois avant de se faire adopter par un couple immensément riche et renommé, les Blackroid. Bien que cette histoire puisse paraître peu banale, je maintiens mes propos, lors de tous ces moments, je n'existais pas, ce n'est que lors de la découverte de ma passion pour l'art que je peux enfin affirmer que j'existais, et je me souviens encore de cet instant tant il fut important pour moi.
Cela a débuté le jour de mes 5 ans, un 15 février particulièrement agréable. Mais, d'un côté, Phoenix était une ville à la température moyenne digne d'un automne tout juste sorti de l'été, en ce mois hivernal. Et cette fois-ci, l'État entier avait atteint les alentours d'un été encore timide venant d'émerger du printemps. Aussi mon anniversaire ne fut pas un rendez-vous familial demandant sur la carte d'invitation de se déplacer en combinaison de ski. Assise sur un fauteuil si moelleux que mon petit corps maigrelet s'y enfonçait lentement, j'entreprenais de déballer mes cadeaux, et ma condition de riche faisait que j'en avais beaucoup, mais alors vraiment beaucoup à découvrir. La plupart consistaient en des jeux éducatifs, destinés à me préparer à un avenir lointain de magistrate. Encore petite, je ne m'opposais aucunement à cette idée, aussi je les regardais avec une étincelle de bonheur et de satisfaction dans les yeux. Cependant, ce n'était rien à côté du moment où je finissais enfin de déchirer mon dernier cadeau, emballé d'un papier rose pastel garni d'innombrables rubans colorés. Il s'agissait d'un carnet à dessin, un simple carnet à dessin accompagné de pastels, de feutres, de crayons... de tout ce qui pouvait servir au dessin, et le tout de la meilleure qualité possible. Certes, le carnet était tout ce qu'il y avait de plus cher, avec sa reliure de cuir noir et ses pages fermes, mais loin était la bicyclette rouge feu ruineuse pour n'importe qui gagnant un salaire moyen. Pourtant, il me suffisait amplement, et même plus que tous les autres présents que j'avais obtenu. A peine découvrais-je ce cadeau que j'embrassais celle qui me l'avait offert - une certaine tante Bellen - et courais dans ma chambre tenter quelques dessins. Malheureusement, mes créations se limitaient à quelques patates à perruques arc-en-ciel, mais je n'abandonnais pas, désireuse d'arriver à dessiner aussi bien que ce que j'avais l'habitude de voir à la télé. Aussi je continuais mes essais toute la journée, jusqu'à ce que la fatigue me gagne et que je sombre dans le sommeil.
Le lendemain me vit faire les boutiques aux côtés de ma mère. Ce n'était pas vraiment mon genre, mais la jeunesse fait que l'enfant suit aveuglément ses parents, et forcément, c'était mon cas. Le quartier dans lequel je vivais était plus qu'aisé, aussi les boutiques qui y reposaient étaient de première qualité. Je pris donc vite goût aux robes, jupes, pantalons, tissus qui régnaient en maître, et attendait avec impatience le moment où ma mère me demanderait d'attendre devant la vitrine, car elle avait un achat à faire. J'avais tout mon temps pour regarder ce qui me faisait envie, et je désespérais vite de ne pas être assez grande pour porter moi-même tous ces vêtements. Lorsque j'entrais chez moi, à peine je pris mon père dans mes bras que je retournais dans ma chambre au pas de course, pour me retrouver devant mon carnet à dessin. Je me mis alors à couper au cutter - que j'avais réussi à dérober à la femme de ménage - les quelques pages sur lesquelles se couchaient mes premiers essais, pour les jeter dans une poubelle de métal réservée aux papiers. Enfin, je pris des crayons et des pastels, et je commençais à dessiner. Cette fois-ci il ne s'agissait plus d'hommes patates, j'avais déjà une idée précise de ce que je voulais. Lorsque je terminais, une somptueuse robe bleu-gris étendait sa dentelle sur mon carnet. Toute fière, je décidais de le montrer à mes parents, qui me félicitèrent, sans se douter une seconde qu'une passion tout-à-fait indésirable à leurs yeux commençait à m'animer, lentement, mais sûrement. Le temps passait et mon amour pour la mode grandissait. Je me mis à engager des couturières destinées à faire mes créations dès l'âge de 10 ans. J'avais une assez grande liberté à ce niveau-là, mes parents pensant que ce serait un bon début pour me faire connaître, bien que peu connaissaient les vêtements que je dessinais, la plupart finissant sur mon corps d'enfant. Je dessinais également des tenues pour femmes et hommes d'âge moyen, et obligeait mes parents à les porter. Ils riaient et m'obéissaient, disant que de toute façon, ce n'était pas comme si ce que je leur donnais était laid, au contraire, et cela me rendait le sourire. Accessoirement, je me mis à la photographie, afin de coucher sur du papier le résultat de mes créations sur des êtres de chair, et je commençait à dessiner autre chose que des vêtements. Enfin mes personnages étaient réussis, les patates humaines n'étaient plus qu'un mauvais souvenir.
Dans les alentours de mes 15 ans, une jeune fille de pas moins de 7 années de plus que moi entra dans ma maison. Ce qui m'étonnait le plus, c'était qu'elle possédait les clés du domaine. Après plusieurs heures à parler, où je découvrais que la fille se nommait Caleigh, mes parents rentrèrent enfin du travail et pleurèrent de joie. Ils prirent l'inconnue dans leurs bras, sous mes yeux ébahis, puis, me remarquant, ils m'expliquèrent qu'il s'agissait de ma grande sœur, qui avait été élevée par un oncle à Paris pour ses études. Au début, j'éprouvais une certaine jalousie à découvrir qu'il s'agissait de la fille biologique de nos parents, mais je ne tardais pas à l'accepter et à m'en faire une amie. Notre différence d'âge me permettait de lui soustraire des informations de toutes sortes. Quelques mois après son arrivée au domaine, elle annonça son mariage avec un jeune français extrêmement sympathique, David. La joie emplie toute la famille, et tous se mirent à préparer le mariage. Je fis moi-même la robe de Caleigh, prenant soin de placer une longue traîne de tulles blanches comme me l'avait demandé ma sœur. La fête fut une incroyable réussite, et je servais de fille d'honneur, en compagnie d'une cousine du marié. Toutes deux nous devînmes très vite amies, je croyais voler sur un nuage tant mon bonheur était complet. Si seulement je connaissais le terrible avenir qui m'attendait, mes yeux n'auraient sans doute pas été aussi joyeux.
J'entrais à Harvard avec d'abord pas mal d'appréhension. J'eus la chance de pouvoir faire l'étude du design de la mode, mais en échange de cette faveur j'ai dû adopter le journalisme également. J'apprends alors à me familiariser avec mon domaine mineur, n'ayant jamais essayé quoique ce soit qui s'en rapproche. Mon intégration ne fut pas forcément des plus faciles. Mon physique et mon statut social suggérait facilement une jeune snob fille de riche qui prend de haut tout le monde, c'est donc en temps que telle que j'ai été accueillie, et j'ai eu bien du mal à faire comprendre que cette image que l'on avait de moi était exactement le contraire de ce que j'étais. Une fois cette étape passée, tout me fut bien plus facile, et je menais une vie aussi tranquille que peut avoir une vierge qui n'est jamais sortie avec personne dans un monde emplie de filles qui ont assez d'expérience pour se moquer facilement d'elle. Un beau jour, j'appris la naissance de la fille de ma sœur par téléphone. On me demanda mon avis pour lui donner un nom, et je ne tardais pas à choisir les suivants, Scarlett Megan Piper. Pour mon grand bonheur, ces prénoms furent immédiatement adoptés, ce qui me laisse encore un sentiment de fierté et d'amour. Oui, ma vie frôlait la perfection, surtout lorsque ma sœur me rendait visite, son bébé aux bras. Mais tout c'est ce qui la perdit le jour de l'explosion de la bombe.
Ce jour-là, j'étais dans ma résidence, tranquillement en train de dessiner dans mon lit, mon fameux carnet datant de mes 5 ans à la main. J'esquissais un croquis d'une robe que j'avais en tête depuis plusieurs semaines lorsque soudain je vis une tornade blonde entrer dans ma chambre. Surprise, je laissais tomber mes crayons à terre puis, reconnaissant ma sœur, je la pris dans mes bras et la serra très fort en lui demandant où était sa fille. Elle me dit tout en souriant qu'elle l'avait laissé dans le couloir, devant la porte de la résidence, dans les bras de son père. Je lui demandais de me l'apporter, ce qu'elle fit. Elle me mit la petite Megan dans les bras, de telle sorte que je pus la dorloter tant que je le voulais. Puis elle ressortit de ma chambre en me disant qu'elle voulait se balader à Harvard avec son mari, pour avoir un petit moment d'intimité. Je la laissais partir en souriant, tout en me demandant ce qu'elle allait montrer à David. Elle pourrait très bien se débrouiller seule, elle connaissait très bien les moindres recoins de Harvard, y étant souvent allée pour me rendre visite. Puis je me repris et je serrais encore plus fort dans mes bras ma chère nièce, tandis qu'elle lançait ses petits gazouillements si irrésistibles, lorsque je sentis une secousse, suivie de cris de terreur. Rapidement, je sortis de ma chambre en compagnie de ma nièce, pour percuter une fille un peu plus vieille que moi, qui cria ces quelques mots : une bombe a explosé. Je ne me rappelle pas ce qui c'est passé ensuite, je me suis évanouie. A mon réveil, j'ai trouvé ma petite protégée tenue entre les bras d'une de mes camarades, elle-même assise à mes côtés, me tenant la main. Ses yeux étaient barbouillés de larmes de pitié, et lorsque je lui en demandais la raison, elle me répondit que ma sœur et son mari étaient morts dans l'explosion. Sans doute aurais-je dû m'évanouir de nouveau, c'est ce que j'espérais au fond de mon cœur, mais je m'efforçais de rester consciente, pour serrer encore un peu ma nièce contre mon cœur, cette pauvre petite d'un an et quelques mois, qui semblait avoir compris quelque chose, tant elle pleurait. Je lui chantais des berceuses, lui parlait, la réconfortait, jusqu'à-ce qu'elle s'endorme enfin. Et nous en sommes à ma vie présente. Je pleure dès lors que le nom Caleigh est prononcé, et je m'occupe de ma protégée comme je peux car, sachant que j'étais la marraine de la petite, je suis à présent sa tutrice officielle. Vais-je pouvoir survivre à ce train-là, maintenir loin quelque envie de suicide à laquelle je n'ai pas encore pensé ? Vais-je réussir à rendre heureuse ma nièce ? Je ne le sais pas, et pour le moment je n'ai pas l'intention de le savoir. J'ai adopté un berger allemand pour qu'il me remonte le moral, j'espère sincèrement qu'il réussira.