one more night to lose control
BORN TO BE MYSELF
I. when i grow up.
Je suis née au début de l'hiver, dans la banlieue de Détroit, d'un père d'origine mexicaine et d'une mère typiquement américaine. J'ai deux petites soeurs, qu'on surnomme affectueusement les « Twix » parce qu'elles sont jumelles et un frère ainé. Je suis la fille du milieu, comme on dit. Mais je n'ai jamais manqué de rien, même si les moyens financiers n'ont pas toujours été au beau fixe. Mes parents, Antonio et Delilah, se sont toujours crevé le cul pour qu'on s'en sorte. Lui, il bossait dans un pressing le jour et dans une épicerie la nuit. Ma mère, elle, travaillait comme professeur de géographie dans un collège un peu pourri de la ville. Combien de fois s'est-on demandé si elle allait revenir entière ? Je ne sais plus, mais elle l'a toujours fait.
De toute petite, je parle les deux langues. Mon père a voulu transmettre son héritage culturel dès notre plus jeune âge. Depuis, quand on doit offrir des cadeaux à notre mère et qu'on complote dans son dos, aucun de nous ne parle anglais et elle s'énerve de ne rien comprendre à l'espagnol.
Ils ont toujours respecté nos choix de vie. Ils ont accepté ma sexualité, mes tatouages, les délits de mon frères, mes dérives identitaires de l'adolescence, mon heavy metal à fond dans la maison, ma période no limits, les disputes violentes avec mes frères et soeurs, les copines que je ramenais et qui n'étaient pas vraiment des filles biens, les filles mieux, le jour où j'ai ramené un dogue argentin blessé pour m'en occuper... Bref, ma famille, c'est malgré tout, toute ma vie.
II. nobody wakes me up like you.
L'amour, parfois, ça peut être de toute beauté. Parfois ça ne dure pas. Des fois ça rend heureux, des fois ça blesse. Comme toute adolescente qui se respecte, je suis tombée amoureuse plusieurs fois. Parfois pour un simple regard ou un sourire, parfois pour un physique avantageux, une personnalité en or, puis elle est entrée dans ma vie. La première grosse claque dans la gueule, la première flèche de Cupidon qui me touche vraiment au plus profond de l'âme. Elle avait toutes ces choses qui pouvaient me faire craquer, sans même le montrer. Elle est entrée dans la salle de cours, un matin, et mon coeur avait flanché, sans crier gare. Elle se présentait à la classe, parce qu'elle débarquait de Philadelphie avec sa mère. Et elle avait une voix à faire fondre une plaquette de chocolat dans un frigo. La douceur du miel. Winona, qu'on devait appeler Winy. Je ne pouvais pas m'empêcher de planter mon regard sur elle, de regarder ses lèvres bouger et de me droguer de ses mots. Elle était drôle, assez sociable. Et assez facilement, elle venait vers moi, pour me demander si la place était libre. Un sourire au coin des lèvres, les joues rougissantes, j’acquiesçais. J'me sentais vraiment nulle de ne pas avoir su ouvrir la bouche à ce moment là, mais les minutes passant, ma timidité s'envolait.
Plusieurs semaines s'étaient écoulées, forgeant une sorte d'amitié et d’ambiguïté entre nous. Elle venait dormir chez moi et j'allais dormir chez elle, sans que rien ne se produise, que de tendre étreintes rassurantes, et de tendres baisers au creux du cou pour se dire bonne nuit. Puis un soir, en rentrant des cours, je l'ai accompagnée jusqu'à chez elle, et au moment de nous dire au revoir, on s'est embrassées. C'était à la fois doux et rempli d'envie, mais vraiment romantique. Elle disait ne plus vouloir me laisser partir, qu'elle voulait dormir avec moi une nuit de plus, mais ce n'était pas possible, à notre grand regret. Son père venait la chercher pour le week-end, me laissant sans nouvelles durant plusieurs jours.
Une année, puis deux. On était le couple le plus solide du lycée. On s'aimait tellement que tous nos potes nous voyaient mariées pour nos 21 ans. Mais il y a toujours des nuages bien noirs qui rendent le tableau bien obscur.
III. let me down slowly.
Avec la fin du lycée, les choix universitaires, les relations entre Winy et moi deviennent de plus en plus compliquées. Les disputes deviennent monnaie courante, on se voit de moins en moins, le temps nous manque. Et j'm'enfonce dans cette spirale infernale, entre absence de communication, reproches et distance. Je m'enferme dans ma bulle, et Winona dans la sienne. Avec une autre. Et ça m'a défoncé le coeur. Avec tout l'amour que j'ai tenté de lui porter, moi qui espérait que c'était une mauvaise passe, qui comptait m'excuser auprès d'elle pour avoir été si difficile à vivre ces dernières semaines, avec l'espoir de consolider notre relation, je me suis retrouvée là, plantée devant sa porte, dans ma voiture, à la voir embrasser cette meuf. Les larmes perlaient sur mes joues tandis que mes mains se crispaient sur mon volant. J'avais envie d'hurler, de sortir de ma caisse pour lui coller une droite dans la gueule, l'insulter de tous les noms possibles, mais je n'en fis rien. Je démarrais à nouveau ma vieille Cadillac pour rentrer chez moi, mais je m'arrêtais en chemin, dans une zone propice à la réflexion. J'attrapais mon téléphone pour lui envoyer un message, comme quoi j'avais tout vu, elle et cette petite pouffe qui vient de foutre en l'air deux ans de relation, qu'elle était une faible et que je ne voulais plus la voir. Les yeux humides, le regard levé vers les étoiles, la radio qui tourne. Voilà tout ce qu'il me restait, après deux ans à me donner corps et âme pour une fille qui ne valait plus rien.
La descente aux enfers, réapprendre à vivre seule, sans ses bras, son odeur, sa chaleur. Les crises de larmes qui surviennent d'un coup. Les potes qui ne sont pas au courant, qui demandent comment ça se passe avec Winy, qui comprennent pas pourquoi je l'ai pas pardonnée. J'ai beau expliquer que, malgré mon amour pour elle, je ne peux pas pardonner ce qu'elle m'a fait. Elle m'appellait, parfois, parce que je lui manquait. Tant pis. Je prenais sur moi et je refusais. Pourtant, mon corps et mon coeur l'appelaient. Et puis cette lettre d'Harvard est arrivée, et je me suis dit que mon salut allait se pointer.
IV. dancing with a stranger.
Changement d'environnement, changement de vie. Winona est partie dans je ne sais pas quel ville, peut-être Baltimore ou bien New-York , mais pas ici. C'est tout ce que je voulais, tout comme c'était ce que je craignais. J'ai cherché à m'adapter à la vie loin de Détroit, j'ai appris à me retrouver sans l'aide d'un GPS, j'ai trouvé un job dans un bar à sushis, et j'avoue que des fois, j'ai bien envie de les manger. J'ai eu quelques relations, avec des filles bien, des filles moins bien. Mais j'ai réussi à m'en sortir, plus forte que jamais. Je suis le conseil de ma mère, qui me dit toujours que je n'ai besoin de personne pour être exceptionnelle. Mais que voulez-vous, je suis une éternelle amoureuse. Peut-être de votre sourire, de votre rire, ou encore de vos chaussures. Une éternelle amoureuse, mais pas sentimentalement.